Avec plus de 1 600 cas confirmés dans plus de 30 pays au 14 juin 2022, l’épidémie de variole du singe est en pleine expansion. La propagation de ce virus hors du continent africain fait ressurgir le spectre d’une maladie plus ancienne, la variole, éradiquée depuis la fin des années 1970.

Ces deux maladies présentent certaines similitudes, car elles sont toutes deux causées par des virus qui appartiennent à la même famille. Cependant, si le virus de la variole et celui de la variole du singe partagent une histoire commune, ils se sont séparés évolutivement il y a 5000 ans. Une conséquence notable de cette divergence est que les manifestations cliniques des maladies qu’ils provoquent sont très différentes. Explications.

La variole, un fléau éradiqué

Les virus provoquant la variole (aussi historiquement appelée « petite vérole » par opposition à la syphilis « la grande vérole ») et la variole du singe appartiennent tous deux à la famille des Orthopoxvirus. Ces virus à ADN se ressemblent morphologiquement, mais les maladies qu’ils provoquent n’ont pas la même gravité.

Dans les deux cas, les virus se transmettent par contact rapproché et prolongé entre personnes, via les sécrétions, les lésions et les matières ou objets contaminés : surfaces, vêtements, draps, etc. Dans le cas de la variole du singe, il est possible que les gouttelettes respiratoires constituent une source de contamination chez les animaux, mais les preuves scientifiques restent insuffisantes pour le confirmer chez l’être humain alors que pour la variole la transmission par gouttelettes respiratoires était avérée chez l’humain (même si la source principale de transmission demeurait par contact).

La période d’incubation de la variole était comprise entre 7 et 19 jours, généralement 10 à 14 jours. Ensuite, pendant deux ou trois jours survenaient des symptômes peu spécifiques, signes avant-coureurs de la maladie (prodromes) : fortes fièvres (plus de 40°C), maux de tête, courbatures, malaise important, fatigue, parfois accompagnés de maux de ventre et de vomissements. Les premières lésions apparaissaient entre 1 et 3 jours après cette phase, d’abord sous forme de petites macules, qui évoluaient en papules, en vésicules et en pustules. Elles touchaient d’abord le visage, puis les membres et le corps entier.

Des agents de santé examinent des passagers arrivant de l’étranger pour détecter les symptômes de la variole du singe, à l’aéroport international de Madras, en Inde, le 3 juin 2022. Arun Sankar / AFP

Après 8 ou 9 jours, une croûte se formait, laissant souvent (dans 65 à 80 % des cas) une importante cicatrice lorsqu’elle se détachait. Au-delà de ces séquelles très disgracieuses, la maladie pouvait se traduire par la cécité chez environ 1 % des patients, ou par les malformations osseuses ou articulaires chez les enfants (dans environ 2 % des cas).

La variole a longtemps compté parmi les pires fléaux de l’humanité. On estime qu’au XXème siècle, la maladie aurait tué entre 300 et 500 millions de personnes. Les indices d’infections les plus anciens ont été retrouvés sur la momie de Ramsès V (décédé en 1142 avant notre notre ère), et les descriptions écrites les plus anciennes, retrouvées en Chine, datent du IVème siècle de notre ère.

La létalité très élevée de cette infection (environ 30 % des patients) était principalement liée au choc résultant de la réponse inflammatoire massive causée par l’infection, et aux surinfections bactériennes des lésions, lesquelles entraînaient des septicémies.

La vaccination a fort heureusement permis d’éradiquer la variole. Le dernier cas d’infection a été signalé en Somalie en 1977 et la maladie a été déclarée vaincue en 1980 par l’OMS. Pour l’heure toujours unique dans l’histoire de l’humanité, cet exploit – l’éradication totale d’une maladie infectieuse de la surface du globe – n’a pu être rendu possible que grâce à un programme de surveillance et de vaccination massive, et parce que le virus de la variole circulait uniquement chez l’être humain : il n’infectait aucun autre organisme vivant. Ce n’est pas le cas du virus de la variole du singe, qui survit dans un réservoir animal. Cependant, la maladie qu’il provoque est beaucoup moins sévère.

La variole du singe

Comme le virus de la variole, le virus de la variole du singe provoque une maladie qui débute par une période d’invasion au cours de laquelle apparaissent fièvre (mais moins importante que dans le cas de la variole), maux de tête, ganglions, douleurs musculaires et fatigue, suivie d’une phase d’éruption cutanée.

Dans le cas de la variole du singe, on constate cependant d’importantes différences, que ce soit dans la distribution des éruptions, moins étendues (mais également douloureuses et générant les mêmes cicatrices) ou dans l’intensité des symptômes, moins importante. Ces derniers durent en moyenne de 2 à 4 semaines, puis régressent spontanément.

La létalité de la variole du singe est sans commune mesure avec celle de la variole. Elle varie en fonction des conditions de prise en charge, des comorbidités des personnes touchées, mais aussi, probablement, en fonction de la souche responsable de la maladie. On en connaît actuellement deux, la souche d’Afrique de l’Ouest et la souche du Bassin du Congo. Si la létalité de cette dernière peut atteindre les 10%, la souche d’Afrique de l’Ouest est beaucoup moins virulente (létalité inférieure à 1%). C’est cette dernière qui est à l’origine de l’épidémie actuelle.

Une différence majeure entre variole et variole du singe réside également dans les populations touchées par les épidémies. Alors que la variole se propageait dans la population générale, il semblerait que la variole du singe touche principalement les familles vivant proches des forêts tropicales dans les pays où elle est endémique. En outre, ce virus se transmet moins facilement, et jusqu’alors principalement de l’animal à l’homme, même si la transmission interhumaine peut provoquer des foyers épidémiques dans les pays endémiques. Le réservoir animal de la maladie n’est pas connu, mais le virus a été retrouvé chez des rongeurs africains, notamment chez des écureuils appartenant aux genres Funisciurus ou Heliosciurus).

La transmission sexuelle n’a pas été décrite pour la variole ni pour la variole du singe, toutefois le virus de la variole du singe a récemment été isolé dans le liquide séminal de trois patients infectés en Italie. Des recherches supplémentaires sont requises pour déterminer si une transmission par échange de fluides sexuels est possible. Cependant, le virus peut se propager au cours des rapports sexuels, ces derniers favorisant un contact rapproché et prolongé.

D’où vient la variole du singe et quelle a été son évolution épidémiologique récente ?

Le virus de la variole du singe n’est pas un nouveau virus : il a été identifié pour la première fois en 1958 au sein d’un élevage de singes de laboratoire au Danemark. À l’époque, l’épidémie s’était déclarée parmi des macaques crabiers (Macaca fascicularis) en provenance de Singapour. L’année suivante, une seconde épidémie a touché une colonie de macaques rhésus à Philadelphie, aux États-Unis, puis en 1964, c’est au tour du zoo de Rotterdam, aux Pays-Bas, d’être touché par une large flambée. Le virus infecte alors non seulement des orangs-outans (Pongo pygmaeus), des gorilles d’Afrique (Gorilla gorilla), un gibbon d’Asie (Hylobates lar), mais aussi des fourmiliers (Myrmecophaga tridactyla), mettant en évidence la largeur du spectre de ses hôtes.

C’est seulement en 1970 que le virus sera détecté, pour la première fois chez l’être humain, chez un enfant de neuf mois en République démocratique du Congo. Des études rétrospectives montreront par la suite des cas similaires en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Depuis, de nombreuses épidémies ont eu lieu dans différents pays d’Afrique, dont une en République démocratique du Congo en 1996-1997.

Si entre 1970 et 1986, seuls 404 cas ont été recensés sur le continent africain, il est à noter que depuis les années 2000, l’incidence de la maladie a fortement augmenté. En 2006-2007, elle avait par exemple été multipliée par 20 par rapport à 1980 en République démocratique du Congo.

Une épidémie notable s’est aussi produite en 2003, aux États-Unis. Elle s’est déclenchée chez des chiens de prairie (Cynomys ludovicianus) vendus en animalerie. Les personnes en contact avec ces animaux ont été contaminées elles aussi. On a dénombré 47 cas d’infections, ce qui fait de cet épisode la première flambée épidémique de la maladie hors du continent africain. Cependant, à l’époque, aucune transmission interhumaine n’avait été formellement démontrée.

Depuis septembre 2017, une épidémie majeure est en cours au Nigéria : en avril 2022, 558 cas avaient été confirmés dans ce pays. De nouvelles exportations du virus ont eu lieu en 2018, 2019 et 2021 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, à Singapour et en Israël.

À quoi est due l’épidémie actuelle ?

L’épidémie actuelle, de par son ampleur et sa répartition géographique, pose de nombreuses questions et incite à une certaine prudence ainsi qu’à la mise en place d’études biomédicales rapides afin de comprendre les caractéristiques de ce pathogène.

Le fait que la variole du singe se propage aujourd’hui hors du continent africain est probablement à mettre en relation avec différents facteurs en lien avec les activités humaines. C’est le cas du changement climatique et l’exploitation de la forêt tropicale, qui créent une plus grande promiscuité et porosité entre le monde animal et le monde humain, ou des conflits géopolitiques et armés, qui forcent certaines populations à se déplacer en passant par des zones où l’infection est potentiellement présente. L’attention réduite que nous accordons aux problèmes qui touchent les pays à revenu faible et intermédiaire est également problématique. Enfin, la mobilité des populations au niveau local et au niveau international peut favoriser la propagation de certaines maladies infectieuses.

La décroissance de l’immunité collective au virus de la variole explique probablement aussi la situation actuelle. Le vaccin contre la variole avait une efficacité importante (environ 85%) contre le virus de la variole du singe. Il conférait une immunité croisée, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est aujourd’hui conseillé aux personnes qui ont été en contact avec un individu infecté. Mais après l’éradication de la maladie en 1980, la vaccination a été arrêtée.

L’expansion actuelle du virus de la variole du singe pourrait traduire le fait que ce virus profite de la niche écologique laissée vacante par le virus de la variole, ce qui expliquerait en partie la résurgence de la variole du singe depuis les années 1990.

Les outils antivarioliques utilisables contre la variole du singe

Les virus de la variole et de la variole du singe, bien que possédant certaines caractéristiques communes, sont également très différents sur de nombreux aspects (réservoir, virologie, transmission, clinique, gravité, létalité, contrôle).

Depuis les années 1960, des recherches scientifiques de grande ampleur ont été menées sur le virus de la variole, non seulement pour des raisons biologiques et médicales, mais aussi en raison de la menace bioterroriste que représentait ce virus. Ces travaux, qui se sont poursuivis après son éradication (les échantillons restants, sous la contrôle de l’Organisation Mondiale de la Santé, sont conservés au CDC d’Atlanta aux États-Unis ainsi qu’au VECTOR Institute de Koltsovo en Russie), ont permis d’acquérir un important socle de connaissances concernant la famille des Orthopoxvirus. Il en va de même des études sur les autres virus du genre Orthopoxvirus plus facilement accessibles que ceux de la variole.

Nous disposons aujourd’hui de vaccins efficaces contre la variole, qui peuvent aussi être utilisés contre la variole du singe ; de plus certains traitements efficaces contre la variole (tecovirimat, cidofovir) ont été repositionnés pour traiter cette maladie. Enfin, des traitements spécifiques sont en cours de développement depuis plusieurs années (immunoglobulines contre le virus de la vaccine).

Toutefois, si nous sommes relativement préparés pour faire face à cette urgence sanitaire potentielle, les connaissances scientifiques sur la variole du singe sont encore parcellaires. Il reste notamment à trouver le réservoir animal de la maladie et comprendre sa dynamique chez l’animal, élucider les mécanismes exacts de transmission chez l’homme ainsi que la manifestation symptomatique de la maladie (sa physiopathologie) de la flambée actuelle qui différerait un peu de celle des épidémies précédentes, développer des méthodes diagnostiques fiables et efficaces, améliorer la prise en charge des patients et comprendre comment s’en prévenir. L’ANRS | Maladies infectieuses émergentes s’apprête à soutenir des projets de recherche afin de mieux comprendre ce virus et le devenir potentiel de l’épidémie actuelle. Il est également central d’apporter des solutions aux pays africains où la maladie est endémique.

auteurs

  1. Assistant de recherche – Sciences humaines et sociales, Inserm

  2. Chargée de mission, Inserm

  3. Médecin, Epidémiologiste, Responsable du département Statégie & Partenariats, ANRS I Maladies infectieuses émergentes, Inserm

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