Les Égyptiens d’il y a plusieurs millénaires étaient-ils noirs ? C’est la thèse qu’a formulée un historien sénégalais très influent dès les années 1950. Mais cette idée ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des égyptologues.

“Les contemporains de la naissance de l’égyptologie moderne savaient parfaitement que l’Égypte était une civilisation nègre et négro-africaine, mais ils ont falsifié sciemment l’histoire.” C’est ce qu’affirmait en 1983 Cheikh Anta Diop à la télévision française, sur la chaîne RFO.

Souvent représentés comme orientaux voire blancs dans l’imaginaire occidental, la couleur de peau des Égyptiens de l’Antiquité est une profonde querelle historiographique et anthropologique qui doit beaucoup à cet intellectuel sénégalais influent. À sa mort, en 1986, Aimé Césaire lui rend hommage et constate que “les historiens ont toujours considéré l’Égypte comme une sorte de fait à part en Afrique, on oubliait même que l’Égypte était une nation africaine. En redonnant à l’Afrique son passé, Cheikh Anta Diop a redonné peut-être son passé à l’humanité.”

Cheikh Anta Diop naît en 1923 au Sénégal, alors sous domination française. À l’école, on enseigne une vision coloniale de l’histoire de son continent, comme il le raconte des années plus tard, « c’est un paradoxe que ce continent qui soit à l’origine de la civilisation humaine soit classé jusqu’à ces dernières décennies comme un continent fruste, qui n’a rien apporté à l’humanité »…

Une thèse iconoclaste pour l’époque

À 23 ans, il arrive en France, suit un cursus scientifique, philosophique et linguistique. Il travaille sur une thèse qui établit que l’Egypte ancienne était une civilisation noire. Mais à cause du caractère subversif de ses travaux, aucun professeur n’accepte de constituer un jury.

Il publie directement ses travaux dans un ouvrage : Nations nègres et culture. Il y affirme que l’Egypte antique est à l’origine des sociétés africaines et européennes.

“C’est l’Égypte qui est à l’origine de la science, de la médecine, de l’astronomie et de tout le savoir dans l’Antiquité. Les Grecs sont venus puiser dans le savoir égyptien à partir du VIe siècle. En – 525, Cambyse II détruit la souveraineté égyptienne, les Perses s’installent, les Grecs vers -332 vont s’installer et après les Romains. Le noir a connu une période de domination, il a dominé le monde jusqu’en – 525.”
Cheikh Anta Diop s’inspire de textes antiques, notamment des écrits d’Hérodote qui affirmait il y a 2 500 ans que les Égyptiens étaient noirs avec des cheveux crépus. Il cherche des passerelles entre la langue égyptienne et la famille des langues africaines et étudie le taux de mélanine présent dans les tissus des momies.

Une critique de l’égyptologie

Diop se base aussi sur les caractéristiques des statues et sur les peintures antiques et analyse ces images à la télévision française en 1983 : “C’est le type général de l’Égyptien qu’on a voulu représenter avec les contrastes de couleurs. Tout de suite après, c’est l’Indo-européen qui représente les races leucodermes (blanches) qui étaient à cette époque réfractaires à la civilisation. Le 3e, c’est le noir du reste de l’Afrique, vous voyez ? Essayez de trouver une différence entre le 1er et le 3e. Et le dernier, c’est le sémite.”

À RÉÉCOUTER
LE COURS DE L’HISTOIRE
Quand l’Afrique rêve ses civilisations passées
Son travail est une critique de l’égyptologie, science fondée par les Européens qui analyse l’Égypte comme un territoire méditerranéen et proche-oriental et non comme une terre du continent africain.

En 1960, Cheikh Anta Diop présente sa thèse “L’Afrique noire précoloniale et L’Unité culturelle de l’Afrique noire” et décroche son doctorat après 7 heures de soutenance à la Sorbonne. Il rentre au Sénégal juste après pour participer à l’élan culturel et politique qui suit l’indépendance de son pays. Il intervient dans des colloques internationaux jusqu’à sa mort, en 1986.

Son travail est autant salué par ses pairs que critiqué. Certains lui reprochent un manque de scientificité et un parti pris militant. Sa vision d’une Afrique comme un bloc uniforme et homogène est aussi contestée. Il est traité d’imposteur par Jean Yoyotte, éminent égyptologue.

Mais le travail de Diop démontre dès les années 1950, que l’Afrique a une histoire et un patrimoine culturel plurimillénaire riche qui ne se limite pas à la tradition orale et tribale comme beaucoup d’Européens l’imaginent.