Conseil des Ministres: « Le Président de la Transition a invité chaque membre du gouvernement à mettre en valeur 50 ha de riz ». Je vois l’intention du Président de la Transition. Mais, l’honnêteté et la franchise m’obligent à dire que cette invite est contre-productive en tous points de vue.
Je suis un petit exploitant agricole depuis 2002. Je sais de quoi je parle.
1) On n’oblige pas quelqu’un à être agriculteur.
Il fera semblant de faire l’agriculture. Il ne la sera jamais. Au contraire, il occupera les terres inutilement, privant les vrais exploitants traditionnels de domaines fertiles.
Conséquence: risques de détournements de deniers publics, d’injustice et de frustrations en milieu rural.
2) À la fin des années 1990, le président-paysan Lansana Conté avait sommé ses ministres de faire de l’agriculture. S’en est suivi une espèce de comédie. En Conseil des Ministres, pour vérifier, il interrogeait les membres du gouvernement sur la localisation de leurs exploitations agricoles. Cela à emmener certains ministres à se chercher des domaines dans la périphérie de Conakry. Beaucoup de ces ministres n’ont pas planté un seul arbre fruitier.
Certains ont transformé leurs domaines en lieu de chasse aux agoutis.
Des domaines sont encore visibles à l’état sauvage, privant les pauvres paysans d’espaces agricoles.
Entouré de trois anciens ministres de Lansana Conté, je suis le seul (simple cadre d’une société privée), dans la zone, à valoriser 5 ha, avec près de 300 palmiers et 200 manguiers qui produisent depuis 2009. À cette agriculture de rente, durant six saisons, je faisais le concombre, le manioc, le piment, l’aubergine, le pastèque,… Aucun de mes voisins de ministres d’alors n’a daigné mettre au sol une bouture de manioc. Pourtant, chacun faisait croire au président Conté que sa plantation évoluait bien dans telle ou telle localité. Archi-faux !
La même initiative du président Conté a été élargie aux préfets.
Pire ! Certains de ces administrateurs territoriaux abandonnaient leurs bureaux et administrations pour se livrer, par démagogie, à une activité qui ne leur ressemblait guère.
Conséquence : de pauvres paysans étaient dépossédés de leurs terres, qui sont restées finalement abandonnées.
TIRONS LES LEÇONS DE NOS ERREURS, disait le colonel Doumbouya dans une communication au lendemain de sa prise du pouvoir. Ces propos que j’ai salués, encore gravés dans ma mémoire, ont fait de moi un de ses fans.
3) Dans les Préfectures voisines de la capitale Conakry, le prix d’un hectare à l’état sauvage se négocie entre 60 millions et 300 millions.
À minima, 50 ha coûteraient 3 milliards de francs guinéens. La valorisation d’une telle superficie nécessiterait pour nos ministres, des moyens de production et des forces productives tout aussi coûteux.
Questions : Comment nos Ministres, chargés de gérer la Transition pourront-ils trouver ce financement pour une activité qui est la benjamine des soucis de certains d’entre eux ?
D’où viendra l’argent pour acquérir les domaines et les exploiter de manière exemplaire ?
La porte ne sera-t-elle pas ouverte aux détournements des fonds publics pour des activités personnelles aux lendemains incertains ?
Évitons de commettre les erreurs de nos aînés.
4) Comment voulons-nous que nos ministres fassent l’agriculture qui n’est pas leur métier, alors qu’ils sont sensés avoir un quotidien chargé, au regard des défis que nous impose la Transition ?
Si nos ministres doivent être partagés entre leurs fonctions et la pratique de l’agriculture, alors notre Transition risque d’échouer. Le Colonel Doumbouya est certainement mû par une bonne intention. Mais, il s’est trompé en faisant cette invite aux membres du gouvernement.
Je me fais le devoir de l’informer que des dizaines d’hectares de certains anciens ministres de Lansana Conté (sommés à l’époque de faire l’agriculture) sont abandonnés à l’état sauvage depuis plus de 20 ans.
Certains de ces domaines sont les sources des feux de brousse qui déciment les plantations voisines, compromettant les années de labeur de modestes exploitants et de pauvres paysans.
J’en ai été victime à trois  reprises. Après ces observations vérifiables, quelles suggestions faut-il faire au président de la Transition ?
SUGGESTIONS 
N°1. Renoncer à cette invite qu’il a faite à chaque ministre de cultiver le riz sur 50 ha. Ils ne le pourront pas. Ils ne le feront pas. Ils feront semblant et s’en moqueront. Au contraire, l’occasion leur sera donnée (avec le concours des préfets, des élus locaux et des DAF) de déposséder de braves paysans de leurs terres ancestrales et nourricières, pour les affecter à ceux qui en feront des lieux de villégiature, dans le meilleur des cas.
N°2. À chacun son travail, suivant son profil. Il serait conseillé au président de la Transition de promouvoir l’agriculture en mettant en place des structures de financement et d’assistance technique à nos paysans, en vue de moderniser les pratiques culturales et rentabiliser la production agricole.
L’agriculture doit rester l’affaire des paysans et des citadins qui veulent volontairement s’y investir. C’est le meilleur procédé pour restituer à l’agriculture et au paysannat toute leur noblesse. En le faisant, l’exode rural sera limité et nos villages seront des pôles d’attraction pour les bras valides, et même les retraités.
Encore une fois, tirons les leçons de nos échecs et osons dire ce que nous pensons à nos dirigeants.
Nos applaudissements démagogiques sont souvent la source des erreurs de nos chefs. Ensemble, réfléchissons pour bien servir notre pays. Les ministres ont beaucoup à faire. En plus, ils ne savent pas faire l’agriculture.
Qu’ils s’occupent exclusivement de la gouvernance de la Transition.
Aidons nos paysans à sortir de la précarité en les aidant à faire la seule chose qu’ils savent faire : L’AGRICULTURE.
Le vrai développement de la Guinée doit passer par là, par ces paysans.
Merci mon Colonel pour l’intention. Mais, nos ministres ne sont pas choisis pour faire l’agriculture. Vous les avez choisis pour vous aider à conduire la Transition.
Qu’il reste dans cette noble et exaltante posture.
Merci.
Ibrahima Jair KEITA pour GCO