La recrudescence des affrontements violents dans le nord du Kosovo nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples conflits interconnectés que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.

La dernière montée des tensions en date s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers kosovars et ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants. Les affrontements ont provoqué de nombreux blessés, dont une trentaine de soldats de la force de maintien de la paix de l’OTAN.

Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont démissionné. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.

Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des structures administratives serbes parallèles, qui sont financées par Belgrade.

En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE en 2013 et reconfirmés en 2015.

Après avoir été repoussées à plusieurs reprises, de nouvelles élections locales ont finalement eu lieu le 23 avril dernier. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le taux de participation moyen a été inférieur à 3,5 %.

Les réactions de l’Occident

La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte souligne que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.

Des policiers anti-émeute devant des véhicules en train de brûler
Des policiers anti-émeute du Kosovo et des policiers militaires de la KFOR sécurisent l’entrée du bâtiment municipal de Zvecan, dans le nord du Kosovo, le 29 mai 2023, à la suite d’affrontements avec des manifestants serbes réclamant la destitution des maires albanais récemment élus. STR/AFP

Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une déclaration commune de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du mondeAbonnez-vous aujourd’hui]

La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.

Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.

Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints Defender Europe 23. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné sans équivoque le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.

Des divisions profondément enracinées

Le statut du Kosovo, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.

La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité l’intervention de l’OTAN en 1999 et a finalement conduit à la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo n’est pas reconnu par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.

Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une proposition a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.

Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.

Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.

Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, le 30 mai :

« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »

Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.

La recrudescence des affrontements violents dans le nord du Kosovo nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples conflits interconnectés que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.

La dernière montée des tensions en date s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants.

Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont démissionné. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.

Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des structures administratives serbes parallèles, qui sont financées par Belgrade.

En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE en 2013 et reconfirmés en 2015.

Après avoir été repoussées à plusieurs reprises, de nouvelles élections locales ont finalement eu lieu le 23 avril dernier. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le taux de participation moyen a été inférieur à 3,5 %.

Les réactions de l’Occident

La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte souligne que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.

Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une déclaration commune de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.

Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.

Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints Defender Europe 23. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné sans équivoque le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.

Des divisions profondément enracinées

Le statut du Kosovo, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.

La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité l’intervention de l’OTAN en 1999 et a finalement conduit à la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo n’est pas reconnu par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.

Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une proposition a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.

Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.

Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.

Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, le 30 mai :

« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »

Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.

 

auteur

Professor of International Security, University of Birmingham

The Conversation