Ils sont très nombreux, -oui très nombreux- ceux qui comme moi, ont connu Demba; mais peu, très peu sont ceux qui comme moi, ont eu le privilège de pénétrer son intimité.
Cette révélation, je la fais avec modestie, mais non sans fierté, car Demba était pour moi plus qu’un ami, il était un frère : le Dragon de la chanson africaine. Pour avoir reçu de lui, fraternité, amitié et confiance, je me dois de vous livrer les dernières paroles de Demba, disons, la dernière interview fraternelle à cœur ouvert : Demba répondant aux questions que le journaliste Ahmed Tidjane Diop de Radio Sénégal et moi-même, lui posions quelques jours seulement après le 9e festival national, c’est-à-dire quelques jours avant Dakar.
Demba Camara, voilà bientôt douze ans que vous êtes chanteur du Bembeya Jazz National. Que signifient donc pour vos douze ans ?
Ces 12 ans sont pour moi et pour mes amis de l’orchestre synonymes de réussite. Mais attention, prenez garde de croire que cela a été facile pour nous. Nous nous sommes battus, sérieusement battus pour devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Et dans notre combat, nous avons toujours reçu de notre Peuple et de notre Parti, un soutien inconditionnel dont nous leur serons toujours reconnaissants. Au public africain qui nous a surtout connus grâce à notre 33 tours « Bembeya Jazz-10 ans de Succès » vont également nos fraternelles et militantes amitiés.
Mais comment êtes-vous venu à la chanson ?
De la manière la plus simple. Au début, j’aimais beaucoup la musique et aussi, j’avais un faible pour la danse. De danseur donc je suis devenu chanteur, sur les conseils de Emmanuel Katty, actuellement animateur de la Voix de la Révolution, autrefois chanteur. Cela se comprend bien pour qui connaît l’Afrique, car chez nous, le chant appelle à la danse. Ainsi, ne pouvant pas toujours faire appel à mes amis pour chanter afin que je puisse danser, j’ai décidé de faire les deux à la fois. Alors j’ai commencé à chanter… Avant d’en finir avec cette partie, je dois vous dire que la première troupe de mon comité Kabada II à Kankan, a évolué sous ma modeste direction.
En matière de musique, il est dit : « Toutes les voix expriment un sentiment, mais peu de voix savent le communiquer ». Mais vous, Demba vous savez le faire, comment vous y êtes-vous pris ?
D’abord merci, pour ces compliments. Je dois à la vérité de dire que je participe à mes chansons, c’est-à-dire que j’essaie de tout mon être de me laisser pénétrer par elles afin de pouvoir pénétrer le cœur des autres. Mais comme vous pouvez l’imaginer, c’est un travail très difficile. Il faut du courage et de la persévérance. Je crois que si mes chansons sensibilisent, c’est que souvent, je chante ce que tout le monde peut chanter avec moi.
Pour ce faire, êtes-vous chanteur populaire ou alors seulement chanteur des chansons populaires ?
Je crois être les deux à la fois, mais, je suis certainement plus l’un que l’autre, c’est-à-dire, chanteur populaire. Car, par exemple, enregistrant dans un studio et communiant en direct avec le public, je ne suis pas toujours le même. La preuve : des disques comme Tentemba et Mamie Watta (Ambianso) enfin Whisky- Soda.
Alors quelles sont vos chansons préférées ?
Sans trop de bavardages d’abord « Regard sur le passé », Toumaran, Tentemba (d’ailleurs j’ai un side-car qui porte ce nom) ensuite Mamy Watta, que j’appelle aussi Ambianso ou ambiance, et enfin si vous voulez, tout le reste.
Avez-vous un message pour le public sénégalais qui vous attend avec une grande impatience ?
Oh ! Oui, dites-leur simplement que nous arriverons. Le reste du message nous le dirons à Dakar, nous-mêmes.
Et la musique sénégalaise vous inspire-t-elle quelque chose ?
Oui, j’aime beaucoup la texture de cette musique, surtout le calme dynamique de ses chanteurs. Enfin, je puis vous dire (entre nous) que j’ai dansé le «Sabar» dans les quartiers de Dakar !
Aux musiciens sénégalais et africains, avez-vous quelques mots ?
Nous devons savoir rester authentiques tout en nous ouvrant aux valeurs universelles. Cela est très important.
À présent en tant que chanteur national, Demba Camara, quelle est votre mission ?
Eh bien ! C’est un point sur lequel je ne suis pas bien compris par mes amis de Bembeya, car je leur dis toujours qu’à partir du moment où nous avons été consacrés orchestre national, moi Demba, je me considère comme membre de toutes les formations musicales guinéennes. Et c’est pourquoi d’ailleurs je dois bientôt enregistrer deux morceaux avec le Kalum Star de Conakry I. Il s’agit de deux chansons pathétiques : «Sala Donso», qui sera le premier blues africain authentique et elle a une partie commentée qui sera faite par mon frère Justin Morel Junior. Ce morceau est l’opposé de Tentemba qui est en réalité le premier rythme authentique africain. Il vient du Ouassoulou.
Enfin, la deuxième chanson c’est « Ile Mousso ». Une chanson très particulière. Ces deux chansons, nous allons bientôt les enregistrer. Ce sera certainement avant Dakar, car le Kalum Star entrera bientôt en studio.
Avant Dakar, avez-vous quelque chose pour le peuple de Guinée ?
À ce peuple, à mon Peuple qui m’a donné ma liberté, ma dignité, je fais le don de ma vie. Pour terminer, je dois vous dire entre frères que Dakar 73 sera pour Bembeya la consécration totale, tout est prêt. Tout.
Après le drame de Dakar, de retour à Conakry, à l’aéroport international Conakry-Gbessia, Ahmed Tidjane m’a dit, les larmes aux yeux : «Demba a vu Dakar, Dakar n’a pas vu Demba.» Et je lui ai répondu : «Oui, Dakar n’a pas entendu celui qu’il avait attendu. C’est bien malheureux ! »
Avec cette fin dramatique, le mythe Demba commence : fantastique.
Par Justin MOREL Junior in
EN DIRECT AVEC LES ARTISTES DU PEUPLE DE GUINÉE
Justin Junior Morel
Collection : Harmattan Guinée
Zone géographique :
– Afrique > Afrique de l’Ouest > Guinée