La marque a justifié ce design inhabituel en faisant directement référence aux milliers de décès de travailleurs migrants du bâtiment au Qatar, ainsi qu’au bilan pour le moins contesté de l’émirat en matière de droits de l’homme. « Nous ne souhaitons pas être visibles pendant un tournoi qui a coûté la vie à des milliers de personnes », explique un post de l’équipementier diffusé sur les réseaux sociaux.
Ce dernier précise : « Nous soutiendrons l’équipe nationale danoise jusqu’au bout, mais ce n’est pas la même chose que de soutenir le Qatar en tant que pays hôte ».
Changement de tactique
Mais la réponse du Qatar à la communication de Hummel semble démontrer un changement de tactique. Par le passé, les Qataris ont souvent été lents à réagir à de telles critiques. Pourtant, quelques heures après que Hummel a fait part de ses préoccupations, l’organisation responsable de l’événement publiait une ferme déclaration.
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Le comité organisateur de l’événement a affirmé que le Qatar avait mis en œuvre d’importantes réformes du marché du travail, et que tous les autres pays, y compris le Danemark, feraient mieux de se concentrer sur le respect des droits de l’homme chez eux.
Une réponse aussi acerbe mérite d’être soulignée, car elle semble marquer une évolution dans la nature, le ton et la vitesse des communications émanant du Qatar. Les officiels se sont manifestement préparés à une période intense de surveillance et d’activisme pour ce qui sera l’une des Coupes du monde les plus controversées de l’histoire du football.
Ils ont également anticipé l’éventualité d’une perturbation de l’événement. Des policiers marocains ont été recrutés alors que des équipements de surveillance américains, des drones turcs et des frégates italiennes ont été achetés. Reste à savoir comment ces ressources seront déployées, et si elles sont liées à l’annonce récente de l’autorisation de vente d’alcool, pendant 19 heures par jour.
Quelque 1,2 million de visiteurs sont attendus au Qatar pendant la compétition. Giuseppe Cacace/AFP
En matière de logistique également, le Qatar s’est exercé. Il a accueilli plusieurs événements très médiatisés et à forte affluence pour mesurer son niveau de préparation, notamment deux événements de la Fifa : la Coupe du monde des clubs en 2019 et la Coupe arabe des nations en 2021. Les deux tournois se sont déroulés sans incident majeur. Mais un récent événement-test au Lusail Iconic Stadium (qui doit accueillir la finale du Mondial, le 18 décembre) a été moins encourageant : des pénuries d’eau, une climatisation défectueuse et la nécessité de marcher pendant une heure jusqu’au stade sous une chaleur de 35 ℃ sont venues perturber la fête.
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]Rien qui ne soit insurmontable avant le match d’ouverture de novembre entre le Qatar et l’Équateur, le dimanche 20 novembre prochain. Mais il y a peu de marge d’erreur dans l’organisation d’événements sportifs de cette nature. En mars, le Grand Prix de Formule 1 en Arabie saoudite a failli être annulé après une attaque de drones des Houthis, mouvement rebelle en guerre contre le pouvoir yéménite soutenu par Riyad, tandis qu’en mai, le Stade de France à Saint-Denis a connu de graves problèmes de gestion des foules lors de la finale de la Ligue des Champions.
Énorme pari
L’afflux de visiteurs sera d’ailleurs un défi majeur. On estime à plus de 1,2 million le nombre de personnes qui se rendront au Qatar entre novembre et décembre.
Pour un pays de 3 millions d’habitants, c’est considérable. Cela mettra à l’épreuve les infrastructures essentielles, comme les routes, les transports publics, l’approvisionnement en eau et la capacité d’évacuation des eaux usées. Certains travailleurs immigrés ont déjà reçu l’ordre de quitter le Qatar et de ne revenir qu’une fois le tournoi terminé. Les fonctionnaires ont été priés de travailler à domicile pendant la Coupe du monde, et les écoles, collèges et universités seront fermés.
Craignant les embouteillages, le gouvernement qatari interrompra la circulation dans Doha le vendredi (souvent le jour le plus chargé de la semaine) et teste actuellement 700 bus électriques aux couleurs de la Coupe du monde en prévision d’éventuels problèmes de transports. Comme je l’ai découvert lors d’une visite en septembre, à quelques semaines du coup d’envoi, d’importantes sections des rues de Doha sont d’ailleurs encore inaccessibles car le pays cherche à moderniser son système d’eau et d’égouts jusqu’au bout.
Au cours de ce voyage, j’ai été frappé par l’ampleur du développement des infrastructures qui a eu lieu depuis ma dernière visite au Qatar, avant la pandémie. La ville semblait beaucoup plus calme qu’auparavant, ce qui, selon un chauffeur de taxi, s’explique par le fait que les habitants ont reçu l’ordre de quitter le pays ou de rester à l’écart de la capitale pendant les derniers préparatifs.
À certains endroits, les routes n’étaient toujours pas terminées, pas plus que plusieurs zones où les supporters sont censés se rassembler. Parmi les travailleurs migrants avec lesquels j’ai discuté, certains évoquaient les longues heures de travail et les bas salaires. Toutefois, ils m’ont presque tous parlé de leur enthousiasme au sujet du tournoi, eux comme d’autres.
Le fait que beaucoup d’entre eux ne pourront pas s’offrir de billets pour les matchs ne préoccupe pas les autorités qataries. Les douze années de préparation de cette Coupe du monde ont été consacrées à la construction d’une nation, à la projection d’un « soft power) » et au changement des perceptions internationales.