Le 28 février dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a signé la demande d’adhésion de son pays à l’Union européenne. Une demande que l’UE a immédiatement commencé à examiner.

Est-ce à dire que les 27 seront très bientôt 28 ?

Il faut faire la distinction entre une perspective européenne, qui est certaine, et une procédure d’adhésion à l’UE, inévitablement plus complexe. Bien entendu, l’article 49 du Traité sur l’Union européenne donne a tout État européen partageant les valeurs de l’Union la possibilité d’y adhérer. En ce sens, la demande de l’Ukraine est légitime. Par ailleurs, l’Ukraine a gagné la sympathie des Européens depuis la révolte de Maidan en 2014 et, plus encore, depuis le début de l’invasion russe le 24 février dernier.

Toutefois, s’il est de plus en plus certain qu’un jour l’Ukraine sera membre de l’UE, son intégration n’est sans doute pas pour demain. L’article 49 prévoit en effet une procédure qui empêche une adhésion « express ». Quelques éléments de réponse aux principales questions qui se posent aujourd’hui.

Existe-t-il une procédure d’adhésion accélérée à l’UE ?

La réponse est claire : non, elle n’existe pas.

La procédure est la même pour l’Ukraine que pour la Géorgie et la Moldavie, qui ont également présenté leur demande depuis quelques jours. Elle est aussi la même que pour les six pays des Balkans occidentaux (Albanie, Kosovo, Serbie, Bosnie, Monténégro, Macédoine du Nord), qui attendent depuis des années, et pour la Turquie.

La procédure peut de facto être accélérée par la Commission, qui pourrait presser la rédaction de son avis. Mais il faudra encore trois autres élements, qui prendront inévitablement du temps, pour que l’adhésion soit actée.

Tout d’abord, la négociation pour construire l’unanimité des volontés des États au sein du Conseil l’UE (un vote contraire bloquerait la procédure). Ensuite, un vote du Parlement européen à la majorité de ses membres. Enfin, une ratification unanime de la part des Parlements nationaux des 27, y compris via des référendums là où la loi nationale le demande. Cela peut donc prendre des années.

Ces arguments mettant en question le réalisme d’une adhésion immédiate ont-ils une nature « légaliste » ?

Non, ils sont de nature politique.

Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible de faire entre l’Ukraine seule. Elle n’est qu’un des neuf pays – les six pays des Balkans et les trois pays d’ex-URSS –, si l’on ne tient pas compte du cas particulier de la Turquie, qui s’en éloigne désomais – qui se trouvent désormais dans l’antichambre de l’Union. L’entrée de neuf pays supplémentaires, selon de nombreux observateurs et, sans doute, de nombreux, citoyens provoquerait la paralysie des institutions de l’UE, notamment en matière de politique étrangère.

La politique étrangère se décide par le vote unanime du Conseil politique étrangère présidé par Josep Borrell. Ajouter neuf pays (y compris la Serbie, qui est particulièrement proche de la Russie) dont chacun pourrait, en fonction des circonstances, s’opposer aux décisions communes paraît contradictoire avec le besoin absolu d’une politique étrangère plus efficace et plus forte. Cela vaut aussi pour la politique de défense.

Qui a intérêt à une UE affaiblie dans un monde qui devient de plus en plus dangereux ? Emmanuel Macron en vue du sommet de Versailles des 11-12 mars, pourrait plaider en faveur d’une réforme des traités, dans le sens d’un vote à la majorité qualifiée au conseil. Mais, en attendant, faire entrer plusieurs nouveaux membres serait de nature à compliquer la prise de décision au sein de l’UE.

La question a-t-elle été posée dans le passé ?

Rappelons que la plupart des pays d’Europe centrale et orientale ayant posé leur candidature après l’effondrement du bloc communiste ont du attendre 2004 pour intégrer l’UE. La Roumanie et la Bulgarie ont même dû attendre 2007.

Margaret Thatcher avait souhaité élargir l’UE aux pays d’Europe de l’Est dès 1989. Elle souhaitait ainsi diluer l’UE, l’affaiblir, la transformer en une entité rassemblant aux Nations unies, sans aucune autorité ni identité en politique étrangère. La Première ministre britannique avait été bloquée par Jacques Delors, Willy Brandt et François Mitterrand qui avaient voulu renforcer les institutions de l’UE avant d’entamer les procédures de l’élargissement sur la base des « critères de Copenhague », approuvés par le Conseil en 1993 et toujours valables (acquis communautaire, économie de marché, respect de l’état de droit et de la démocratie).

Dans le cas de l’Ukraine, deux problématiques spécifiques viennent s’ajouter. Tout d’abord, il s’agit d’un pays qui compte 45 millions d’habitants et dont le PIB par habitant est l’équivalent d’un quart de celui de la Bulgarie (le pays le plus pauvre de l’UE). Surtout, nous ignorons le statut et la situation de l’Ukraine dans les prochaines semaines, les prochains mois, les prochaines années. Le pays pourrait être partagé en deux comme Chypre, il pourrait être démilitarisé et finlandisé. Personne ne le sait, et personne ne sait, notamment, dans quelle mesure les droits humains seront respectés à l’avenir dans plusieurs parties du pays.

Si l’on souhaite aider concrètement l’Ukraine aujourd’hui, il convient sans doute avant tout de se concentrer sur l’aide humanitaire et militaire aux résistants ukrainiens et sur l’assistance aux bientôt 4 ou 5 millions de réfugiés.

Y a-t-il une proposition politique plus faisable dans le court terme ?

Il semble possible de proposer un Conseil de la Grande Europe, incluant les 27 et les neuf candidats. Cette solution permettrait aux Ukrainiens de partager avec les membres de l’UE un sentiment d’appartenance commune et une identité politique démocratique occidentale. On pourrait confier à cette nouvelle institution des compétences : par exemple, la gestion de la libre circulation ou encore le partage équitable des millions de réfugiés arrivés dans l’UE. C’est une idée de François Mitterrand, qui proposait une Europe à cercles concentriques. Plusieurs décennies plus tard, elle paraît retrouver une vraie actualité.

Auteur

  1. Président émérite de l’IEE-ULB, membre de l’Académie Royale des sciences de Belgique, Université Libre de Bruxelles (ULB)