Pour ce dernier, qui se trouve à la tête de l’instance internationale depuis 2015, c’est un premier succès en vue de la mise en œuvre de cette réforme majeure, dont le but est surtout d’apporter de nouvelles ressources à la FIFA. Sa principale source de revenus est, en effet, la Coupe du Monde, organisée tous les quatre ans depuis sa création en 1930. Les autres compétitions de la FIFA (Coupe du monde féminine, Coupe du Monde des clubs, Coupes du Monde masculine et féminine U20 et U17) ne sont pas aussi rémunératrices. Ainsi, sur la période 2011-2014, la Coupe du Monde 2014 organisée au Brésil a représenté 4,8 des 5,7 milliards de dollars de revenus de la FIFA, soit 84,2 %. Le cycle actuel, 2019-2022, s’appuie en grande partie sur le rendez-vous qatari de novembre 2022 et ses 4,6 milliards de revenus prévus.
La Coupe des confédérations, lancée en 1992 et abandonnée en 2019, n’a pas été couronnée de succès commercial – même si elle aura été importante politiquement pour démontrer l’universalité du football, dans la mesure où elle offrait la possibilité aux nations championnes d’Afrique ou d’Asie de disputer des rencontres face aux mastodontes du football mondial. L’accroissement du nombre d’équipes qualifiées pour la phase finale de la Coupe du Monde (celle de 2026, tenue conjointement aux États-Unis, au Mexique et au Canada, accueillera 48 équipes, contre 32 précédemment) répond d’ailleurs à ce même impératif politique.
La lutte pour le contrôle du football mondial
Le communiqué de la CAN et l’engagement des 52 nations qui l’ont signé constituent certainement un pas important franchi par la FIFA dans sa lutte pour le leadership dans le football face à l’UEFA, la très puissante confédération européenne.
En effet, depuis 1974 et l’élection du Brésilien Joao Havelange à la tête de la FIFA, les stratégies de conquête de pouvoir de l’institution mondiale s’établissent contre l’Europe. D’ailleurs, l’UEFA, est logiquement opposée au changement de fréquence de la Coupe du monde, estimant par la voix de Aleksander Céférin, son président, qu’une telle réforme risquerait de dévaluer la compétition. Une position soutenue par la Comnebol, la confédération sud-américaine de football. En revanche, les confédérations asiatique (AFC) et d’Amérique du Nord, centrale et Caraïbes (Concacaf) y sont favorables.
Il faut dire que, longtemps, les derniers tours des Coupes du monde ont consisté essentiellement en des affrontements entre pays européens et sud-américains. Joao Havelange (1974-1998), puis son successeur Sepp Blatter (1998-2015) ont cherché à donner plus de place et de visibilité aux autres continents, notamment en augmentant le nombre d’équipes participant à la phase finale (de 16 à 24 en 1982, puis à 32 en 1998, et donc à 48 à partir de 2026), ce qui permet de diminuer mécaniquement la part européenne, même si celle-ci reste importante (13 équipes sur 32 pour l’édition 2022).
Il faut rappeler à cet égard que même si les fédérations européennes ont plus de moyens financiers, chaque fédération ne dispose que d’une seule voix au sein des congrès et assemblées générales de la FIFA. Autrement dit, la parole de la France ou de l’Allemagne vaut autant que celle du Soudan du Sud ou de la Malaisie.
Mais depuis les années 1990 et les changements provoqués par les arrêts Bosman et Malaja qui permettent la libre circulation des joueurs en Europe, ainsi que les réformes de la compétition de clubs phare, la Ligue des Champions, qui ont accru le nombre de clubs qualifiés provenant des pays les plus riches, le football de clubs rivalise en termes d’exposition médiatique avec la Coupe du Monde. Dans le cadre de la Ligue des Champions, tous les meilleurs footballeurs du monde se rencontrent désormais tous les ans et assurent à l’Europe une « machine à cash » lui offrant une puissance financière et une résonance médiatique que lui envie la FIFA.
Les grandes manœuvres de la FIFA
Une Coupe du Monde tous les deux ans : l’idée avait déjà germé sous Sepp Blatter, mais il avait rapidement rétropédalé à la suite de la levée de boucliers des clubs. Cette fois, le projet a une belle chance de passer.
Porté par Arsène Wenger, une figure du football international, il comprend une refonte du calendrier qui permettrait aux clubs de bénéficier de leurs joueurs vingt jours de plus que dans la formule actuelle.
Un « geste » vers les clubs, un autre vers les pays n’ayant qu’une faible exposition mondiale : le plan pourrait emporter une majorité de voix en assemblée générale FIFA avec un bloc Afrique-Asie-Océanie opposé au bloc Europe-Amérique du Sud (ce dernier rapprochement vient notamment de se manifester par l’inclusion d’équipes sud-américaines dans les prochaines éditions de la Ligue des Nations organisée par l’UEFA et jusqu’ici réservée exclusivement aux sélections européennes). En projet : une Coupe du Monde tous les deux ans et un plateau d’équipes augmenté de 50 % (changement déjà entériné, en vigueur dès 2026), qui permet plus de rentrées d’argent aux fédérations (que la FIFA a par ailleurs soutenues durant la période d’arrêt liée au Covid-19).
Si l’on comprend les enjeux financiers pour les fédérations africaines, on serait légitiment en droit de se poser la question de la position de la CAF, et surtout du devenir de sa compétition phare, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), qui a lieu tous les deux ans, voire du Championnat d’Afrique des nations (CHAN), le même format réservé aux joueurs qui jouent en Afrique.
Les difficultés du football africain
La Coupe d’Afrique des Nations est la seule compétition rentable du continent : les droits marketing et télévisuels sont vendus sous forme de packages, en rajoutant toutes les compétitions organisées par la CAF (Ligue des champions africaine, Coupe de la confédération, CAN féminine, CHAN, CAN u20 et CAN U17), mais la plupart des diffuseurs n’utilisent que les droits sur les matchs de la CAN.
En dehors de la CAN, les compétitions continentales organisées en Afrique coûtent souvent plus d’argent qu’elles n’en rapportent. Par exemple, faute de moyens, les dotations de la Ligue des champions africaine sont souvent trop faibles pour couvrir les frais des clubs qui y participent.
D’autre part, la fréquence biennale de la CAN a longtemps été présentée comme un outil de développement des infrastructures, notamment sportives. Il faut dire qu’avec ses quatre poules (six depuis 2019), ce sont autant de stades qui sont construits ou remis aux normes, et qui devraient permettre de meilleures conditions de pratique.
Pour autant, la compétition phare du football africain se retrouve confrontée à un problème de format et de position sur le calendrier international. Depuis 2012, la compétition ne s’est jamais déroulée dans le pays prévu, que ce soit à cause de situations politiques incertaines (Libye 2013 et 2017), de conflit institutionnel (Maroc, 2015) ou de retard dans la construction des stades (Cameroun, 2019). La 33e édition, qui aurait dû se dérouler cette année, a été décalée à janvier et février 2022 pour cause de Covid-19. Et à quelques semaines de l’ouverture d’une compétition déjà perturbée par le retard dans la livraison de son stade principal, l’association des Clubs européens (ECA) menace de ne pas libérer les joueurs en raison d’une absence de protocole sanitaire délivré par la CAF pour éviter des quarantaines à leur retour.
Si de solutions de remplacement ont été trouvées chaque fois, l’édition 2015, prévue au Maroc (avec un remplacement par la Guinée équatoriale au dernier moment) symbolise les difficultés rencontrées par la compétition. Le royaume chérifien, qui venait d’accueillir la Coupe du monde des clubs avec, entre autres le Real Madrid, demandait un report de la CAN au mois de juin pour mieux l’accueillir. Mais en toile de fond se posait le problème de la libération des joueurs internationaux africains évoluant en Europe (57 % lors de l’édition 2019) que les clubs rechignent à voir partir un mois en pleine saison.
Cette dépendance à l’égard de l’Europe avait déjà entraîné le passage des compétitions des années paires aux années impaires pour éviter les doublons les années de Coupe du monde. En 2017, la CAF choisit de déplacer la compétition au mois de juin et de l’élargir à 24 équipes dès l’édition de 2019, avant de revenir sur cette décision pour la CAN 2021 au Cameroun, pour des raisons climatiques. L’édition 2023 est déjà menacée, la Coupe du monde 2022 au Qatar se terminant au mois de décembre, soit quelques semaines seulement avant une éventuelle compétition africaine.
D’autre part, il faut également tenir compte de la dépendance accrue du football africain à la FIFA depuis cinq ans et l’élection à la tête de la CAF d’Ahmad Ahmad, d’abord largement soutenu, puis lâché par Infantino. Exsangue financièrement après la rupture en 2019 (en raison d’une contestation de la procédure) du contrat signé avec l’agence de marketing Lagardère Sport, qui devait assurer à la CAF au minimum un milliard de dollars jusqu’en 2028, l’organisation espère bénéficier des retombées d’une augmentation des subventions CAF provenant de la FIFA. Dans le cadre de son programme FIFA Forward, de développement du football, la FIFA finance en effet à hauteur de 12 millions de dollars annuels des projets liés à la pratique du sport-roi (et un million minimum à chaque fédération). Une augmentation des revenus de l’institution augmenterait de fait ces subventions, en plus d’augmenter les montants reversés par les droits TV et marketing. Le 20 décembre, Gianni Infantino a réuni en visioconférence 207 des 211 fédérations membres de la FIFA et a promis une augmentation des subventions de 19 millions de dollars par fédération, par cycles de quatre ans.
Un coup à jouer pour la CAF
Quel gage doit donc donner l’Afrique ? Modifier la fréquence de son tournoi, en le passant à un format quadriannuel, comme le demandent un certain nombre d’acteurs, dont Gianni Infantino lui-même ?
Paradoxalement, le passage à une Coupe du Monde tous les deux ans pourrait conforter le format biennal actuel. En négociant que la Coupe d’Afrique des Nations devienne qualificative pour la Coupe du Monde, la CAF augmenterait la valeur de sa compétition en bénéficiant de la force commerciale de la maison de Zurich et pourrait continuer de l’organiser les années impaires.
La situation actuelle ouvre donc de nombreuses possibilités. En négociant bien, les neuf places africaines en Coupe du Monde pourraient revenir aux quatre demi-finalistes, les cinq autres places étant réparties à travers un système de barrages avec un mix entre les douze huitièmes de finalistes et des équipes en fonction de leur classement FIFA, ce qui offrirait une deuxième chance aux « grosses » sélections ayant raté leur tournoi.
Une chose est certaine, l’Afrique doit proposer quelque chose, au risque de n’être qu’une arme dans le combat pour la puissance de la FIFA dans la lutte contre les confédérations européenne et sud-américaine. Le match international ouvert au Caire ne fait que commencer. À la CAF de jouer…