Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est assassiné lors d’un coup d’État organisé par un de ses camarades les plus proches, Blaise Compaoré (plus disposé à soutenir les intérêts de la France, de la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny et du Mali de Moussa Traoré qui soutiennent ce renversement).

Quelques jours plus tard, il est déclaré « décédé de mort naturelle » par un médecin militaire. Une thèse qui sera battue en brèche quelques années plus tard à la faveur de l’ouverture d’une procédure judiciaire. En effet, en décembre 2015, un mandat d’arrêt international est lancé par la justice militaire contre Blaise Compaoré, alors en exil en Côte d’Ivoire. Blaise Compaoré est poursuivi notamment pour son implication présumée dans l’assassinat de Thomas Sankara en 1987.

Voici que Blaise Compaoré et ses complices sont rattrapés par l’histoire. En attendant l’ouverture du procès qui permettra de situer la responsabilité des uns et des autres, nous publions ci-après des extraits du livre ‘’ Il s’appelait Sankara Chronique d’une mort violente ‘’ de Sennen Andriamirado, publié aux éditions Jeune Afrique Livres. L’auteur de cet ouvrage était un proche ami du capitaine Sankara. Il explique avec force détails le contexte et les circonstances de l’assassinat du président du Faso.

Nous sommes le jeudi 15 octobre 1987, l’auteur relate l’emploi du temps du président Sankara (ndlr). « …Ce jeudi 15 octobre 1987 à 16 heures, Sankara doit présider l’une des trois réunions hebdomadaires de son cabinet spécial. A l’ordre du jour : le compte rendu de l’un de ses conseillers qui rentre de Cotonou où il a eu des entretiens avec les responsables du Parti révolutionnaire du peuple du Bénin et rassemblé des documents sur le « Code béninois de conduite révolutionnaire ». Retardé à sa résidence par un de ses conseillers, Sankara s’embarque à 16h20 dans une Peugeot 205 pour le Conseil de l’Entente.

Le président comme d’habitude, a pris place à côté du chauffeur : « j’aime bien voir la route, se croit-il souvent obligé d’expliquer, et de derrière on ne voit rien. » Sur le siège arrière, deux gardes du corps plus le chauffeur, un militaire lui aussi. Tous sont en tenue de sport, ce jeudi après-midi : deux fois par semaine, en effet, le lundi et le jeudi à partir de 17 heures, les Burkinabè sont censés pratiquer le sport de masse. Le président du Faso et se gardes ne sont donc armés que de leur pistolet automatique (PA).

Au Conseil de l’Entente, les membres du cabinet spécial sont également en tenue de sport, à l’exception de Patrice Zagré, venu en « pékin ». A 16 heures 30, le président arrive. Il débarque de la 205, suivi par quatre de ses gardes qui s’installent dans le couloir attenant à la salle de réunion. Les chauffeurs rangent les deux voitures sous un préau voisin et vont s’abriter du soleil à l’ombre des grands arbres, notamment des nims, qui bordent les jardins.

A 16 heures 35, le président prend place au bout de la table de réunion en forme de U. L’adjudant Christophe Saba, Paulin Bamouni et Frédéric Kiemdé se sont installés à sa droite. A sa gauche, se trouvent Patrice Zagré, Bonaventure Compaoré et Alouna Traoré. Thomas Sankara, toujours en retard mais toujours pressé, ouvre la séance de travail : « Faisons vite, commençons ! »

Alouna Traoré, celui qui la veille, était parti en mission d’information à Cotonou, commence son rapport : « J’ai quitté Ouaga avant-hier à 18heures… » Et il s’interrompt, la voix soudain couverte par le bruit du tuyau d’échappement, sans doute percé, d’une voiture qui s’approche. Etonné et agacé, Sankara demande : « Quel est ce bruit-là ? », bientôt imité par Saba qui fronce les sourcils : « C’est quoi çà même ? » Le bruit s’amplifie. Une voiture –« une Peugeot 504 ou une Toyota bâchée », hésitera à préciser le seul témoin direct rescapé – s’est arrêtée devant le portail de la villa. Et immédiatement, le bruit du moteur a été couvert par le vacarme de rafales de Kalachnikov.

Les sept hommes réunis dans la salle s’aplatissent au sol, se protégeant derrière les fauteuils. Parmi eux, seul à être armé puisque ses gardes sont restés soit dans le couloir, soit dans le jardin, Sankara se saisit de son PA qu’il avait déposé sur la table, à portée de main. Du dehors, quelqu’un crie : « Sortez ! Sortez ! » Sankara se relève, pousse un grand soupir et ordonne à ses conseillers : «  Restez ! Restez ! C’est moi qu’ils veulent ! » Puis il quitte la salle de réunion, les bras en l’air.

« Il a à peine franchi la porte de la villa, témoigne Alouna Traoré, qu’il est littéralement canardé. Les assaillants étaient venus pour tuer ! » Les gardes qui veillaient dans le couloir, ceux qui, comme les deux chauffeurs, étaient restés dehors, ainsi qu’un motard de la gendarmerie, Soré Patenema, venu par hasard apporter du courrier au siège du CNR (Conseil National de la Révolution, ndlr), ont déjà été abattus par les premières rafales… »

Ces lignes qui se passent de commentaires, démontrent avec éloquence, que l’assassinat de Sankara constituait  une opération bien planifiée et exécutée de sang-froid. Il revient désormais à la justice de démêler les fils de cet écheveau pour en démasquer les commanditaires.

 

Thierno Saïdou DIAKITE

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