La restitution des avoirs volés par les dirigeants corrompus à leurs pays d’origine est une préoccupation de plusieurs États, principalement africains, depuis la fin des années 90. En 1999, le président nigérian nouvellement élu, Olusegun Obasanjo, appelait devant l’Assemblée générale des Nations Unies à la création d’une convention internationale relative au rapatriement des richesses africaines acquises illégalement et détenues à l’étranger. Cette position était, bien entendu, motivée par les sommes colossales détournées par l’un de ses prédécesseurs, le dictateur Sani Abacha, estimées entre 3 et 5 milliards de dollars.

En 2001, les représentants de l’ONG Transparency International de 11 pays d’Afrique reprenaient la proposition l’Olusegun Obasanjo dans la Déclaration de Nyanga sur le recouvrement et le rapatriement des richesses africaines.

Il est très difficile, sinon impossible, de chiffrer avec exactitude les montants détournés dans le cadre de la corruption en Afrique et « mis à l’abris » à l’étranger. Dans un document de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) intitulé « La corruption en faits et en chiffres », on estime à plus de 400 milliards de dollars les transferts illicites de capitaux en Afrique, dont environ 100 milliards proviendraient uniquement du Nigéria.
Plus spécifiquement, selon Mme Vera Songwe, secrétaire exécutive de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique, la corruption drainerait chaque année hors du continent, 148 milliards de dollars, ce qui représente environ 25% du PIB moyen de l’Afrique.

Le rapatriement des avoirs volés peut-être défini comme étant la procédure judiciaire par laquelle un « État et/ou ses citoyens recouvrent des ressources publiques détournées par un régime présent ou passé, par la famille ou les alliés des dirigeants, ou par des acteurs étrangers » (Transparency International 2009).

En parallèle à la lutte contre la corruption, et aux vues des montants faramineux transférés illicitement à l’étranger, il semble essentiel, sinon indispensable, d’œuvrer pour la saisie et le rapatriement des biens volés vers leurs pays d’origine, afin que ces richesses puissent bénéficier aux populations qui ont été spoliées.

Ces fonds, s’ils étaient rapatriés, pourraient contribuer de façon significative aux énormes besoins en ressources du continent, pour financer par exemple, des programmes sociaux ou des infrastructures de base indispensables au bien-être des populations. De plus, cette solution serait la plus logique et la plus juste du point de vue de la morale. Cela permettrait, en quelque sorte, de réparer les préjudices causés par les détournements de fonds.

Rappelons, à titre de référence, un rapport conjoint de l’ONUDC et de la Banque mondiale sur le recouvrement d’avoirs, dont les chiffres sont éloquents : « le recouvrement de 100 millions de dollars d’avoirs illicites permettrait de financer indifféremment entre 3 et 10 millions de moustiquaires imprégnées d’insecticide, une année de traitement pour plus de 600 000 personnes affectées par le VIH, entre 50 et 100 millions de traitements pour soigner la malaria, la vaccination complète de 4 millions d’enfants, l’accès à l’eau à quelques 250 000 foyers ou encore 240 km de routes à deux voies bitumées ».

Le recouvrement des avoirs volés servirait aussi à mettre fin au sentiment d’impunité, ce qui enverrait un signal fort aux coupables de corruption, les dissuadant de voler les ressources de leur pays dans le but d’en jouir paisiblement à l’étranger.

Bien que les procédures soient complexes et très peu uniformisées d’un pays à l’autre, il existe aujourd’hui des outils juridiques internationaux fiables et de nombreux réseaux d’entre-aide judiciaire qui luttent contre la corruption et pour la restitution des avoirs volés. Les principaux sont, la Convention des Nations Unies contre la corruption, l’Initiative StAR (Stolen Asset Recovery) et, à une échelle sous-régionale, le réseau ARINSA (Asset Recovery Inter-Agency Network for Southern Africa) qui est un réseau de recouvrement des avoirs auprès des pays d’Afrique australe.

La Convention des Nations Unies contre la corruption (aussi connue sous le nom de Convention de Merida), constitue le premier instrument mondial de lutte contre la corruption, le crime organisé et les crimes économiques y compris le blanchiment de capitaux. Cette convention fournit notamment un cadre légal général pour lutter contre la corruption à travers des mesures de prévention, d’application du droit et de recouvrement d’avoirs volés. C’est dans la recommandation de 2009, accompagnant la Convention, qu’est directement abordé le sujet de la restitution des avoirs. En effet, il est demandé aux Etats parties, de se concerter et de coopérer avec les autres pays, membres ou non, pour la confiscation et le rapatriement du produit des avoirs issus de la corruption d’agents publics étrangers.

Tout semble évident aux termes de la Convention, et pourtant, tous les pays qui l’ont ratifié n’ont pas transposé dans leurs lois ce principe de restitution des avoirs issus de la corruption. C’est par exemple le cas de la France, dont la loi prévoit que les fonds confisqués tout comme les sommes résultant de la vente des avoirs confisqués reviennent au budget général de l’Etat français. Il est donc nécessaire et urgent de faire évoluer le cadre législatif français, surtout aux vues des investissements colossaux et autres dépenses somptuaires, pour ne pas dire extravagantes, réalisés en France par plusieurs dictateurs africains.

En France, les avoirs confisqués issus de la corruption reviennent au budget général de l’Etat français

A titre d’exemple récent, nous pouvons citer le jugement du tribunal correctionnel de Paris intervenu le 27 octobre 2017 qui a condamné Teodoro Nguema Obiang Mangue, surnommé Teodorin, Vice-Président de Guinée-Equatoriale, à 3 ans d’emprisonnement avec sursis, 30 millions d’euros d’amende avec sursis et, surtout, à la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français, d’une valeur estimée à plus de 150 millions d’euros. Ce jugement n’est pas définitif car toutes les voies de recours ne sont pas encore épuisées, mais ne serait-il pas totalement immoral que toute cette fortune revienne à la France, qui tirerait en quelque sorte un bénéfice réel du comportement criminel des dirigeants corrompus, au détriment des populations spoliées ?

Les ONG telles que Transparency International France se battent afin que la législation française soit modifiée pour intégrer le principe de la restitution des avoirs tel que prévu par la Convention des Nations Unis contre la corruption, principe qui a été réaffirmé dans différentes instances, notamment lors de « la déclaration du G8 sur les printemps arabes » au sommet de Deauville, du 26 au 27 Mai 2011.

Transparency International France a d’ailleurs organisé à Paris, en Novembre 2017, un colloque ayant pour thème : « la restitution des avoirs issus de la corruption ». Lors de ce colloque, l’analyste juridique de la division anti-corruption de l’OCDE, Mme France Chain, a rappelé dans ses propos introductifs que les pays de l’OCDE se devaient de prendre l’initiative de geler, confisquer et rapatrier les avoirs issus de la corruption.

De plus, la législation française ne permet pas de confiscation civile, mais uniquement d’une confiscation de nature pénale. Cela apporte une difficulté supplémentaire, car il faut obtenir, au préalable, une condamnation pénale de la personne poursuivie pour faits de corruption. Or, il est des cas dans lesquels il est difficile d’obtenir une telle condamnation, notamment en cas de décès de la personne poursuivie, ou encore lorsque cette dernière soulève une immunité (comme c’est le cas pour les dirigeants toujours en poste).

Le Royaume-Uni, les USA et la Suisse

Sur ce point particulier, La France doit s’inspirer d’exemples étrangers tels que le Royaume-Uni et les États-Unis qui figurent parmi les pays qui autorisent le recouvrement de fonds blanchis sur leur territoire au moyen d’une procédure civile de saisie. Dans le cas de la procédure civile, l’action judiciaire est menée contre les biens, et non pas contre une personne en particulier. Cette procédure exige uniquement de prouver que les biens sont le produit ou l’instrument d’un crime (sans nécessité d’établir la culpabilité de la personne qui aurait commis ce crime). Cela allège le fardeau imposé au gouvernement qui demande la saisie et signifie qu’il est possible d’obtenir la confiscation des biens même lorsqu’il n’existe pas de preuves suffisantes pour appuyer une condamnation pénale.

La Suisse a quant à elle, consacré la confiscation administrative dans une loi adoptée en 2011 (Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées, connue sous le nom de Lex Duvalier). Cette loi énonce que dans les cas où l’État est incapable de collaborer entièrement à la procédure de recouvrement d’avoirs en raison d’une défaillance de l’appareil judiciaire, la charge de la preuve est renversée : il revient alors aux personnes politiquement exposées de prouver que les avoirs en question ont été acquis légalement. Dans le cas contraire, l’avoir pourra être restitué au pays d’origine sans condamnation pénale préalable dans ce pays.

L’Initiative StAR pour le recouvrement des avoirs volés (StAR – Stolen Asset Recovery Initiative) lancée en décembre 2007 par l’ONUDC et la Banque mondiale, soutient les efforts internationaux visant à faire disparaitre les refuges pour les fonds issus de la corruption. StAR produit également des guides d’aide à la recherche d’avoirs volés. Elle estime entre 20 et 40 milliards de dollars les sommes détournées chaque année par des agents publics corrompus dans les pays en développement et transférés à l’étranger. Ces sommes proviendraient, pour l’essentiel, soit de fonds publics détournés, soit de pots-de-vin perçus en relation avec des décisions publiques, telles que l’attribution de marchés publics ou l’obtention de permis.

Malheureusement, seule une petite partie de ces sommes est rapatriée dans les pays d’origine. En 2014, l’initiative StAR estimait que seulement 5 milliards de dollars d’avoirs détournés avaient été restitués entre 1999 et 2014, soit entre 1 et 2% des biens qui auraient été détournés et transférés à l’étranger sur la même période. Et toujours selon l’Initiative StAR, les Etats mombres de l’OCDE auraient restitué entre 2006 et 2012, seulement 423,5 millions de dollars, ce qui représente à peine 0,2% des pots-de-vin versés annuellement.

Parmi les quelques États qui restituent ces fonds, la Suisse fait figure de modèle. En 2006, elle a retourné au Nigeria un montant de 723 millions de dollars US, acquis illégalement par la famille d’Abacha. Depuis la fin des années 1990 et jusqu’en 2016, la Confédération helvétique a restitué à elle seule près de 2 milliards de dollars de fonds détournés par des potentats, et la Banque mondiale estime que ce montant représente près de la moitié des sommes recouvrées par les États d’origine à l’échelle mondiale.

Parmi les initiatives qui œuvrent dans le même sens, on peut également citer, à l’échelle sous-régionale, le Réseau ARINSA (Asset Recovery Inter-Agency Network for Southern Africa), qui regroupe les autorités d’Afrique australe compétentes en matière de recouvrement d’avoirs, tous délits financiers confondus, y compris la corruption. Il s’agit d’un réseau informel créé en 2009 qui comprend actuellement un procureur et un enquêteur de chacun des membres de l’Afrique australe. Au total, 16 pays d’Afrique australe faisaient partie du réseau ARINSA en 2018.

Il n’existe toujours pas, à l’heure actuelle, de réseaux d’entraide judiciaire similaires dans les États de l’Afrique de l’Est, de l’Ouest et du Nord, ce qui a été souligné depuis 2011 par le Groupe de travail intergouvernemental sur le recouvrement d’avoirs, lors de la Conférence des États Parties à la CNUCC.

Un autre défi de taille est l’utilisation des fonds rapatriés. En effet, quand on sait comment la corruption gangrène encore et toujours les plus hautes institutions de plusieurs Etats africains, comment s’assurer que ces fonds ne soient pas à nouveau détournés par d’autres agents publics véreux ? On ne peut être totalement utopiste et ignorer cet obstacle de taille. Il est donc impératif de s’interroger en amont sur la mise en œuvre de toute restitution de fonds, lorsque l’Etat d’origine se trouve dans une situation de défaillance, c’est-à-dire lorsque les agents publics qui dirigent le pays sont directement mis en cause ou lorsqu’il existe un risque que les avoirs restitués soient « recyclés » dans les circuits de la corruption. En effet, il y a bel et bien des précédents de restitution d’avoirs illicites qui ont été détournés à nouveau.

Citons à titre d’exemple les 723 millions de dollars US retournés en 2006 au Nigeria, par la Suisse. Une part importante de ces fonds se seraient comme…évaporée ! l De même que les 140 millions de dollars restitués par le Liechtenstein. La Suisse avait tenu à ce que la Banque mondiale exerce une forme de contrôle sur l’argent directement restitué dans le budget de l’Etat, avec des résultats extrêmement mitigés. La Banque mondiale n’a pu que faire un constat d’impuissance : la moitié des projets au moins n’ont pas vu le jour, et dans l’autre moitié qui a réalisé, bon nombre étaient dysfonctionnels.  Pour éviter le même fiasco, la Suisse a tenu a conclure en décembre 2016 un accord tripartite, avec le Nigeria et la Banque mondiale, pour restitution de la deuxième tranche, soit 321 millions de dollars. La banque de développement doit en particulier superviser l’allocation de ces fonds destinés à renforcer la sécurité sociale des couches les plus pauvres de la population qui représentent plus de 60% des 190 millions d’habitants du Nigeria.

La question du rapatriement des avoirs volés est encore plus complexe lorsque les gouvernants accusés de détournement et de transferts illicites de fonds sont toujours au pouvoir.

On ne peut pour autant renoncer au rapatriement des avoirs illicites quelques soient les obstacles éventuels. La seule solution viable est d’impliquer la société civile dans la solution envisagée pour la restitution.
Notes:

Cette rubrique Juridique et Financière traite des grands enjeux africains comme la corruption, la lutte contre le blanchiment et les questions juridiques impliquant les banques et le secteur financier en général.

 

Par Massadouno Doussou Komara

Spécialiste en Droit bancaire et financier et certifiéCAMS

Source : FinancialAfrik.com