En France, chaque année, plus de 400 000 personnes se brûlent et pour 9 000 d’entre elles, ces brûlures sont graves. Quelle que soit la cause (un liquide ou un objet chaud, électricité, flammes, produits chimiques ou encore exposition aux rayons UV), ces brûlures entraînent une lésion importante de la barrière cutanée, rendant les grands brûlés particulièrement sensibles aux infections.
En effet, la peau, organe le plus étendu du corps humain, est aussi la première ligne de défense contre les bactéries et virus. Le tissu cutané est composé de trois couches : l’épiderme, le derme et l’hypoderme (de l’extérieur vers l’intérieur de notre corps). L’épiderme, constitué de plusieurs couches de kératinocytes (cellules de peau), constitue l’enveloppe externe de la peau. C’est une couche en renouvellement permanent qui constitue le premier rempart contre les agressions extérieures : on parle de barrière cutanée. Le derme, quant à lui, est un tissu vascularisé qui confère résistance et élasticité à la peau via les fibres de collagène et d’élastine, fabriquées par des cellules appelées fibroblastes.
Dans le cas des grands brûlés, la perte de la barrière cutanée entraîne une perte de liquide et de chaleur ainsi qu’un risque d’infection plus important.
Le traitement traditionnel des brûlures profondes consiste à les recouvrir avec une peau saine prélevée sur une autre partie du corps : c’est l’autogreffe. Cette intervention ne pose pas de difficulté technique particulière, cependant, dans le cas de brûlures très étendues sur le corps, le problème vient du fait qu’il n’y a pas suffisamment de peau saine à prélever pour recouvrir l’ensemble des zones brûlées.
Fabriquer de la peau en laboratoire
Les chercheurs se sont donc tournés vers l’ingénierie tissulaire pour fabriquer du tissu cutané en laboratoire. La technique d’ingénierie tissulaire classique repose sur la croissance in vitro de cellules associées à un échafaudage (matériau poreux biocompatible). Pour faire simple, des cellules saines sont prélevées chez le patient puis mises en culture et en multiplication afin d’en obtenir un nombre suffisant pour l’ensemencement sur l’échafaudage. Enfin, les cellules ensemencées sont mises à maturer jusqu’à formation du tissu biologique.
Cette technique peut, néanmoins, présenter des limitations car la distribution spatiale des cellules ensemencées reste difficile à contrôler, notamment lorsque plusieurs types cellulaires sont utilisés dans une même structure.
En réaction, depuis plusieurs années, la bioimpression apparaît comme une nouvelle technique d’ingénierie tissulaire permettant de produire des tissus biologiques de manière plus précise (donc des tissus plus fonctionnels), reproductible et automatisée.
La bioimpression 3D
En effet, grâce à la bio-impression 3D, des chercheurs ont pu créer des structures de peau en trois dimensions par remplissage, couche par couche, d’une encre biologique contenant des cellules de peau humaine (kératinocytes et fibroblastes) suspendues dans un gel.
En réalité, la bio-impression 3D diffère peu de l’impression 3D ou fabrication additive utilisée dans le secteur de l’industrie par exemple. Sa spécificité vient du fait que les bio-imprimantes appliquent des couches de biomatériaux (la bio-encre), qui peuvent contenir des cellules vivantes, pour créer des structures complexes telles que des tissus de la peau.
Dans le cas des grands brûlés, l’objectif est d’utiliser des cellules du patient afin d’éviter tout potentiel rejet de greffe.
La bio-encre se compose de deux parties distinctes : une matrice et les cellules d’intérêts prélevées chez le patient. La matrice doit permettre aux cellules de vivre, se développer et s’organiser. Elle est en général composée d’hydrogels biocompatibles comme l’alginate (polymère issu des algues brunes), la gélatine et la fibrine (protéines) ou encore le collagène (protéine qui favorise l’adhésion cellulaire). Les cellules d’intérêt, fibroblastes et kératinocytes, sont quant à elles isolées à partir d’une biopsie d’un tissu sain du patient.
Une fois la bio-encre formulée, la fabrication de peau par bio-impression 3D nécessite différentes étapes que sont la conception assistée par ordinateur (CAO) de l’architecture du tissu à imprimer et la bio-impression en elle-même. Lors de l’étape de conceptualisation, la CAO, il faut définir l’organisation spatiale de l’ensemble des constituants des tissus (en s’inspirant de l’organisation du tissu observé par imagerie par exemple) et les paramètres d’impression des bio-encres (hauteur des couches de biomatériaux, vitesse d’impression…).
Vient ensuite l’étape d’impression automatisée de la peau par l’imprimante qui diffère selon la technologie utilisée. Il existe trois technologies principales : l’impression par laser, la technique de la microextrusion et la technologie jet d’encre, chacune ayant des avantages et des inconvénients.
La technique du jet d’encre est fortement inspirée de l’impression 2D sur papier. Le principe repose sur l’éjection de microgoutelettes de bio-encre grâce à un procédé thermique ou piézoélectrique. Dans le premier cas, une impulsion thermique entraîne la formation d’une poche de vapeur qui engendre l’éjection de gouttelettes d’encre par pression. Dans le second procédé, une tension appliquée à un cristal piézoélectrique entraîne une déformation mécanique qui va comprimer le réservoir d’encre et permettre l’éjection de gouttelettes.
La technique de microextrusion utilise deux têtes d’impression (microseringues), l’une dépose des couches d’un hydrogel et l’autre des cellules, en alternance. Ces constituants sont poussés mécaniquement à travers les seringues à l’image de la gouache sortant de son tube.
Enfin, l’impression laser est la plus récente. Cette fois, l’encre est étalée sur une lamelle de verre. Un laser vient frapper celle-ci et émettre des impulsions (de l’ordre de la nanoseconde) qui, absorbées par l’encre, permettent de détacher des microgoutelettes. Cette technologie est très précise car elle permet de contrôler le placement de la goutte à l’échelle de la cellule. De plus, elle offre la meilleure viabilité pour les cellules (95 % environ).
Vers une utilisation à l’hôpital ?
Suite à l’impression, le tissu imprimé est soumis à une phase de maturation où le tissu évolue tout seul dans un milieu de culture. Cette phase permet aux cellules de s’auto-organiser jusqu’à faire émerger des fonctions biologiques spécifiques en vue d’une greffe. En fait, l’étape de maturation a pour objectif de transformer un tissu vivant passif en un tissu vivant actif.
Cette étape de maturation est réglementée par le statut de médicament de thérapie innovante qui est contraignant.
Finalement, une fois la peau obtenue, il reste à la greffer sur le patient… Ce rêve n’est plus très loin. En effet, la société Poietis, spécialiste français de la bio-impression 3D par laser a installé fin 2021 la première plate-forme de bio-impression 3D pour la fabrication de tissus biologiques implantables à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille. Les premiers essais cliniques sont en cours.