Des observations antérieures ont montré une préférence marquée des moustiques pour les gens gros (ils produisent plus de CO2), les buveurs de bière et les femmes enceintes. Et bien que le régime alimentaire ait été souvent suspecté de jouer un rôle, aucune hypothèse concernant ce que nous mangeons (même l’ail) n’a résisté à un examen minutieux.
Les auteurs d’une nouvelle étude, dans PLOS One, prétendent avoir trouvé la réponse. Ils ont étudié les différentes formes d’attirance que représentent nos odeurs corporelles vis-à-vis des moustiques. Et plus spécialement de la variété Aedes aegypti, à qui allaient être confrontés en laboratoire de courageux volontaires recrutés au sein d’un groupe de jumeaux de sexe féminin : « vraies » jumelles pour certaines, « fausses » jumelles pour les autres, mais toutes faisant partie de la cohorte des jumeaux britanniques que j’ai initiés il y a 22 ans, la Twins UK Cohort. Utiliser ces deux sortes de jumeaux servait à bien distinguer les effets de l’inné et de l’acquis, ce qui est dû aux gènes et ce qui est produit par l’environnement. Chez les humains, c’est la seule façon d’estimer convenablement la contribution de la génétique dans la différenciation entre les individus.
Nos vaillantes jumelles plongèrent leurs mains dans les deux ouvertures d’un dôme hermétique en plexiglas spécialement conçu, à l’intérieur duquel les odeurs attiraient ou, au contraire, repoussaient 20 moustiques femelles à qui on ne permettait pas de piquer. À chacun des sujets fut attribué un taux d’attirance des moustiques, comparé ensuite à l’autre main, à la seconde extrémité du dôme. Et, comme il fallait s’y attendre, les vrais jumeaux ayant en commun la totalité de leurs gènes ont eu de façon constante des scores plus ressemblants que ceux des faux jumeaux mettant ainsi en lumière un composant génétique évident. Selon cette comparaison, 67 % des différences entre les personnes sont dues à leurs gènes (ce qu’on a appelé l’héritabilité).
Repousser avec l’odeur
Pourquoi est-ce le cas ? Il y a de nombreuses années, dans une autre recherche impliquant des jumeaux, nous avions prouvé que l’odeur des aisselles perçues par le nez humain avait une base génétique – avec une énorme variation dans la façon dont les senteurs fortes étaient ressenties. Cela démontrait que nous avons des variations génétiques qui nous différencient, contrôlant à la fois les odeurs que nous percevons et les odeurs chimiques que nous produisons. Ainsi, nous ressemblons aux moustiques, qui connaissent également des variations importantes quant aux odeurs naturelles et aux effluves chimiques qui les attirent et les repoussent.
Des espèces différentes de moustiques préfèrent telle ou telle partie de notre corps plutôt que d’autres. L’espèce Aedes gambiae choisit prioritairement les odeurs de nos mains et de nos pieds plutôt que celle de l’aine et des aisselles. Certains animaux utilisent leur senteur corporelle pour tenir les moustiques à distance et, du coup, des groupes industriels ont essayé de détecter quels sont les meilleurs produits chimiques.
Les auteurs de l’étude sur les jumeaux ont compris que les odeurs chimiques pouvaient être générées par des glandes sous notre peau ou bien par des milliards de microbes à la surface. Ils ont éliminé toute provenance bactérienne car le dogme veut que les bactéries ne puissent pas être influencées génétiquement. Il se trouve qu’ils avaient tort.
Vos microbes bien à vous
Nous avons tous des espèces microbiennes particulières et très différentes d’autrui à l’intérieur de notre bouche, dans notre intestin et sur notre peau. Nous partageons juste une petite fraction d’espèces microbiennes avec les uns et les autres, mais nous avons cependant une unique empreinte digitale microbienne comme signature.
On pensait que cette diversification relevait soit du hasard, soit de l’endroit où nous vivions. Mais des études récentes, utilisant une nouvelle fois les jumeaux britanniques, ont mis en évidence l’importance que possèdent les gènes pour influencer quel type de bactéries intestinales foisonnent en nous – et le phénomène est vraisemblablement similaire en ce qui concerne notre peau.
Nos 100 000 milliards de microbes dépassent nos propres cellules humaines dans la proportion de 10 pour 1. Il se trouve que nous ne les choisissons pas, ce sont eux qui nous choisissent en fonction de notre profil génétique. Cela signifie que, tout comme les moustiques, si certains microbes préfèrent coexister avec nous, d’autres nous trouvent plutôt déplaisants et vont s’installer ailleurs.
Nos microbes produisent nombre de nos vitamines et des composants chimiques de notre sang. Loin d’être les méchants, leur diversité contribue à notre santé. Ils sont aussi, probablement, responsables de la plupart de nos effluves et autres odeurs. Même un lavage des mains régulier n’arrive pas à chasser ces bactéries.
La senteur spéciale que beaucoup d’entre nous ont entre les doigts de pied vient d’une bactérie appelée Brevibacteria linens. Elle est identique à celle qui donne son odeur spécifique au fromage de Limbourg.
Pour démontrer qu’il s’agit de la même espèce bactérienne où qu’elle prolifère, une équipe de microbiologiste de l’université UCLA de Los Angeles a réalisé une expérience inhabituelle. Ils se sont mis à fabriquer et à manger du fromage issu de la peau humaine et, selon les rapports, cet aliment gourmet était très goûteux.
Donc, la prochaine fois qu’un moustique vous piquera la cheville, n’invoquez pas le mauvais sort ou votre répulsif bon marché. Pensez plutôt aux processus incroyables d’assortiments que réalise l’évolution, mariant votre mélange de gènes spécifiques avec une communauté particulière de microbes qui se nourrissent de votre peau et produisent un phénomène chimique que seules certaines espèces de moustiques trouvent irrésistible.