Les mils à la base de l’émergence des sociétés agricoles des zones sèches d’Afrique et d’Asie
Les mils regroupent à la fois des espèces comme le sorgho (« gros mil », Sorghum bicolor), le mil perlé (« petit mil », Pennisetum glaucum ou Cenchrus americanus), le mil rouge (Éleusine) et d’autres mils divers incluant le fonio, le tef, ou encore le « mil des oiseaux ».
Le sorgho, le mil perlé, le mil rouge, le mil et le fonio ont été domestiqués dans le Sahel, la frange Sud du Sahara. La domestication de ces plantes a accompagné la désertification du Sahara et le développement de l’agriculture du Sahel, qui a débuté il y a plus de 5 000 ans. Le mil perlé a été domestiqué en Afrique de l’Ouest vers le Nord-Ouest Mali, le fonio blanc au Nigéria, le sorgho et le mil rouge en Afrique de l’Est.
Très tôt, ces céréales africaines ont diffusé vers l’Asie : il y a plus de 3 500 ans, le mil perlé et le sorgho contribuent déjà à l’agriculture des zones correspondant d’aujourd’hui à l’Inde et au Pakistan dans les régions les plus sèches.
Les premières sociétés agricoles asiatiques sont aussi associées à la culture du mil des oiseaux et du mil commun, là aussi dans les zones les plus sèches du nord de la Chine. Ces deux espèces sont ainsi retrouvées dans les sites archéologiques, dès 10 000 ans pour le mil commun et autour de 8 000 ans environ pour le mil des oiseaux.
De par leur adaptation à des environnements secs, les mils ont donc largement contribué à ces premières sociétés agricoles.
Attachement socio-culturel des populations aux mils
La présence des mils dans une zone ne s’explique pas toujours exclusivement par l’opportunité offerte par l’environnement. Le maintien de certaines cultures de mils dans des environnements où leur rentabilité économique est moindre par rapport à d’autres cultures s’explique aussi par l’intérêt socio-culturel dont elles bénéficient.
En effet, les populations ont toujours migré avec les semences utiles à leur sécurité alimentaire, mais aussi avec celles ayant une valeur sociale et culturelle.
Cependant, la gestion des mils à valeur socio-culturelles ne se fait jamais au détriment de la sécurité alimentaire. Ceux-ci sont alors conservés à l’état de culture marginale par quelques membres de la société disposant d’un avantage comparatif (terre, main-d’œuvre), ou faisant un sacerdoce (patriarche, guérisseur, devin, prêtre, etc.).
Néanmoins, il arrive au gré des opportunités économiques que certains mils changent de statut et gagnent un regain d’intérêt. C’est le cas du fonio en Afrique de l’Ouest et du teff en Afrique de l’Est.
Une adaptation foliaire à la sécheresse et au manque d’eau
Les mils appartiennent au groupe de céréales de type « C4 », caractérisées par une machinerie photosynthétique particulière leur permettant d’être plus efficaces pour capter le CO2 de l’atmosphère que les types « C3 » (tels que le blé ou le riz), et donc d’avoir des besoins en eau plus faibles.
La tolérance à la sécheresse des mils est aussi due à des surfaces foliaires moindres par rapport à d’autres céréales comme le maïs ou le blé, ce qui réduit leurs besoins en eau, mais limite aussi leur potentiel de production.
Certaines variétés de mil et de sorgho sont également capables de limiter les pertes en eau de leurs feuilles quand l’air est trop sec et trop chaud, ce qui permet de conserver l’eau du sol et de la rendre disponible pour la phase critique du remplissage des grains.
Chez le sorgho, cette adaptation est permise par des modifications développementales : certaines portions du génome sont capables d’induire une légère réduction de la taille individuelle des feuilles, réduisant ainsi les pertes en eau.
Un système racinaire optimisant l’exploitation de l’eau du sol
En complément de ces stratégies d’optimisation de l’utilisation de l’eau, les mils présentent un système racinaire qui permet d’optimiser l’acquisition de l’eau dans le sol.
Ainsi, leurs racines sont plutôt fines, ce qui réduit leur coût métabolique (c’est-à-dire la quantité de carbone issu de la photosynthèse utilisée pour la construction et l’entretien d’une unité de longueur de racine). Cela leur permet d’avoir un système racinaire très étendu, capable d’explorer et d’exploiter un large volume de sol.
Surtout, leur développement racinaire est plastique, c’est-à-dire qu’il est sensible aux contraintes de l’environnement et en particulier au stress hydrique. Il a ainsi été montré qu’en conditions de stress hydrique, le mil perlé développe son système racinaire plus en profondeur (où le sol peut encore contenir de l’eau) et moins en surface (où le sol est sec).
Dans le même ordre d’idée, chez Setaria viridis (un proche parent du mil des oiseaux Setaria italica), des conditions de stress hydriques mènent à une inhibition (un arrêt) de la production et de la croissance de nouvelles racines, afin de favoriser la croissance en profondeur des racines déjà développées. Cette inhibition est levée lorsque les racines sont remises en présence d’eau.
Diversité des cycles de développement et de floraison
La tolérance à la sécheresse des mils est également due à un cycle végétatif (c’est-à-dire un cycle de développement) assez court : environ 90 jours entre le semis et la maturité pour le mil perlé ou certains mils rouges. La capacité à fleurir très précocement est ainsi un atout essentiel pour le mil perlé, qui lui permet de boucler son cycle de culture rapidement avec assez peu d’eau.
Certaines variétés de sorgho ou mil perlé sont aussi capables d’ajuster leur date de floraison de manière à la calquer sur la fin de la période des pluies. Cette caractéristique, appelée sensibilité à la photopériode, est une caractéristique essentielle des variétés développées pour la zone sahélienne. Elle permet aussi de synchroniser la floraison et la maturation des grains de tous les champs, ce qui répartit les dommages causés par les oiseaux dans tous les champs.
Les mils sont aussi des espèces qui développent beaucoup de talles, c’est-à-dire de tiges pouvant porter un épi (à l’inverse, le maïs n’en est pas capable et n’en produit qu’une seule). Cela permet à de nouvelles talles de pouvoir rapidement reprendre la suite de la talle principale dans le cas où celle-ci aurait été détruite par une période de stress. Ainsi, la production de grain est maintenue.
Cette capacité des mils à taller est d’autant plus forte pour des variétés ayant évolué dans des environnements très contraints en eau, par exemple les variétés traditionnelles de la région du Rajasthan en Inde.
Défis futurs pour l’amélioration variétale
Il existe donc une grande diversité de mécanismes d’adaptation au stress hydrique et à la sécheresse au sein même des différentes espèces. Cette diversité doit être explorée et utilisée pour développer de nouvelles variétés, à la fois productives en l’absence de contrainte hydrique, et capables d’être résilientes lors des années sèches.
En effet, si les mils constituent les céréales de base pour les populations des zones semi-arides, ils commencent – le changement climatique aidant – à devenir une alternative pour d’autres régions du monde. Ils pourraient ainsi dans un avenir proche jouer un rôle essentiel dans la nutrition animale et humaine mondiale.
Malheureusement, les mils sont parmi les céréales les moins productives au monde, en particulier en Afrique. Cela peut s’expliquer par leur potentiel génétique plus faible, mais aussi par les faibles efforts fournis par la recherche en comparaison aux 3 céréales majeures (blé, riz, maïs). La diversité génétique très riche des mils reste ainsi insuffisamment exploitée par les programmes de sélection, tout comme les contraintes des zones de culture sont insuffisamment connues et maîtrisées.
Une augmentation et une stabilisation des rendements des mils dans les zones semi-arides – indispensables dans le contexte actuel de changement climatique – doivent donc nécessairement passer par une accentuation des efforts de recherche.