« … Il n’y a pas d’exil doré. J’ai souffert de voir que ma mère a été conspuée au marché de Dabola, lorsque j’ai pris la tangente ; j’ai souffert de ne pas voir le Hafia jouer ; j’ai souffert de voir que seul Pathé commentait les matches ; j’ai souffert de ne plus voir les carrefours de Conakry. Les citoyens du pays me manquaient terriblement… »
C’est Boubacar Kanté qui s’exprimait ainsi, un maître du micro devant l’Éternel ! Des extraits de son passage dans l’émission ‘’ Tribune des célébrités ‘’ de feu El Hadj Abdoulaye Dalein Diallo. Il décrit avec une douleur contenue ses souffrances, toutes celles qui ont déchiré son cœur, amplifié sa nostalgie patriotique, ses souvenirs amicaux ou professionnels. Des blessures dont geignent l’amour filial et le juste courroux d’un esprit libre.
Ces mots ont été prononcés bien avant le drame de cette nuit fatale du jeudi au vendredi 24 octobre 1997, où le corps du célébrissime journaliste guinéen était retrouvé à Abidjan, ensanglanté et couvert de blessures, gisant au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel de Marcori. Il avait été nommé quarante-huit heures plutôt, Directeur du Bureau de presse de la présidence de la République de Guinée, par le chef de l’État général Lansana Conté. Selon les premières informations, il aurait été défenestré par des malfrats, dans des conditions non encore élucidées. Et depuis les enquêtes semblent avoir été enterrées dans le tourbillon des tragédies sociopolitiques ivoiriennes. Espérons qu’un jour viendra, où la vérité sera connue, car la priorité pour les autorités ivoiriennes et guinéennes, est encore bien ailleurs.
Après 24 ans d’exil (1973-1997), le mécène-reporter-consultant sportif de 57 ans, qui s’était métamorphosé en redoutable business-man, avait décidé de rejoindre la mère patrie, après avoir fui la révolution sékoutouréenne, profitant du deuxième Festival panafricain à Tunis, en 1973, pour « disparaitre dans la nature », oubliant tout simplement qu’il était un membre important de la délégation culturelle guinéenne. Il expliquera plus tard qu’il se sentait menacé, et avait peur de finir au Camp Boiro. Finalement, il ressortira sa tête en Côte d Ivoire, après une virgule gabonaise. Ses solides relations avec les présidents Houphouet Boigny et Omar Bongo Odimba étaient de notoriété publique et se placer sous leurs parapluies directement ou non, était de nature à le sécuriser.
Son enthousiasme naturel et son bagou lui ont ouvert de nombreuses portes dans sa trajectoire personnelle. Des talents innés de diplomate, des qualités de reporter sportif qui lui viennent peut-être de son passé de gardien de but à Kindia. Par l’entremise de la grande Miriam Makéba, qu’il avait connue et produite en Guinée pendant qu’il dirigeait Syliphone, il avait même été introduit à Madiba, le héros Nelson Mandela en personne !
Né en 1940 à Dabola, au cœur géographique de la Guinée, Boubacar Kanté y fera aussi bien l’école primaire de langue française que celle coranique en arabe. Le lycée le conduira dans la ville de Kindia, où ses prouesses sportives étaient vraiment appréciées. Mais à propos, Amadou Diouldé Diallo, historien et analyste sportif précise : « Boubacar KANTE dont l’élégance le disputait au charme, n’était pas fait pour suer sur un terrain de jeu, mais dans une cabine de reportage pour pousser par le verbe les joueurs à se surpasser. Et cela, tout le monde le voulait, tant sa voix mal tonnait et son vocabulaire riche et varié arrosait les acteurs du champ d’une inflation d’épithètes et de superlatifs. Un soleil venait de se lever sur la Guinée et ce soleil brillait de mille feux ».
Ainsi Boubacar Kanté travaillera avec brio pour la Voix de la révolution, la radio officielle guinéenne, Radio Côte d’Ivoire et Africa No1. Sa faconde professionnelle séduisait et agrandissait irréversiblement le cercle des auditeurs et des téléspectateurs ; elle élargissait conséquemment le spectre d’influence des médias qui bénéficiaient de cette « manne vocale».
Pionnier de l’Union des journalistes sportifs africains (UJSA) avec l’Éthiopien Fekrou Kidane, l’Ivoirien Thiam Belafonte et l’inoubliable Congolais Tschimpupu Wa Tschimpupu, Boubacar Kanté avait su patiemment tisser et entretenir un imposant réseau d’amis quasiment dans tous les milieux artistiques et sportifs qui comptent. Avec les membres du Syli national ou du Hafia Football Club ou du Kaloum, l’homme savait garder une grande place dans son cœur. En particulier pour les Souleymane Chérif, le troisième ballon d’or africain, Petit Sory, Maxime Camara, Ashken Kaba du Bembéya ou Kèlètigui Traoré, il cultivait un respect et une fidélité jamais démentis.
Les férus de foot se souviendront longtemps encore de son intervention journalistique en 1972, pendant la Coupe d’Afrique des Clubs Champions, au Nakivubo stadium de Kampala, en Ouganda ; lorsque Boubacar Kanté, heureux et fier de recevoir un appel du président Ahmed Sékou Touré, en direct de Conakry, sur les antennes de la Voix de la Révolution, pour féliciter le Hafia Football Club ; ils se souviennent comment Aboubacar Kanté a « récupéré et maîtrisé » la situation, devenant le temps d’un commentaire, le « messager du président ougandais » qui selon lui, l’avait chargé de dire au président guinéen qu’il était « Le lion d’Afrique ». No comment.
Le club guinéen venait de remporter avec cette 8e édition du 10 décembre 1972, son premier titre continental, suite à une victoire historique en finale sur les Ougandais de Simba Football Club, par le score de 3 buts à 2, marqués respectivement par Chérif Souleymane à la 67e minute, Thiam Tolo Goal à la 69e et N’Jo Léa à la 76e ! Jour de gloire.
Tino Diakité, pertinent consultant sportif remarque à juste titre : «En évoquant la carrière de Boubacar Kanté, on se focalise beaucoup plus sur son parcours de journaliste sportif, alors que dans les années soixante-dix, il a largement œuvré à l’essor de la musique guinéenne. À la tête de l’ex-société nationale d’édition, de production et de distribution discographique Syliphone, Kanté s’est totalement investi pour la promotion de notre musique moderne»
Hommage mérité.. Un laborieux découvreur de pépites musicales. Effectivement, Boubacar Kanté a porté Syliphone au firmament du succès international, avec les productions les plus réussies et les artistes les plus talentueux. Il avait le contact facile et tous les musiciens et orchestres nationaux ou fédéraux vont largement en profiter. C’est après un séjour studieux en Allemagne qu’il prendra les rênes de Syliphone. Entre 1971 et 1973, Kanté va révolutionner la production discographique africaine grâce à un partenariat robuste avec Sonodisc, une compagnie française, fondée par Marcel Perse et Michel David, qui avait pignon sur la 85 rue Fondary – 75 015 Paris, à l’époque. Cette société qui s’était spécialisée dans les musiques africaines, antillaises et arabes, collaborait pour ce faire avec plusieurs sous labels notamment : Africa Oumba, African, Al Sur, BBZ Productions, Disques Espérance, GD Productions, JPS Production, Ozileka, Publi-Congo, Safari Ambiance, Sonafric, Sono, TG Sawa, etc.
En 1998 SonoDisc va fusionner avec Musisoft Next, et quand cette dernière a été liquidée en 2005, puis rachetée par The Adageo Group (Suave Music / Redbay), l’aventure prendra pratiquement avec la disparition de son propriétaire Jean Karakos en 2017. Quelques cendres figurent encore sur le Web, comme reliques immortelles de cette légende de la world music avant la lettre !
Sory Kandia Kouyaté, Kèlètigui et ses Tambourinis, Balla et ses Baladins, Bembeya Jazz National, Super Boiro Band National, Horoya Band National, Kébendo Jazz, Niandan Jazz, Nimba Jazz, Palm Jazz, Camayenne Sofa, Virtuoses Diabaté, Miriam Makéba, Franklin Boukaka et de nombreux autres, connaîtront avec Kanté leurs plus beaux jours artistiques. Ils offriront un monumental catalogue qui a favorisé l’éclosion universelle de la musique guinéenne, et qui l’inscrira à jamais dans l’historiographie des musiques de l’Afrique indépendante.
Le rayonnement et l’impact des Editons Syliphone dans le monde portent la signature du mécène passionné que fut Boubacar Kanté, Bouba pour les intimes. Un crédit tout à l’honneur de l’illustre disparu dont la dépouille, comme « pour boucler la boucle », une expression qui était chère qu défunt a rejoint sa ville natale de Dabola, où elle repose en paix.
Justin MOREL Junior in:
En direct avec les artistes du peuple de Guinée (Nouvelle édition)
Justin MOREL Junior Editions L’Harmattan Guinee
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