À mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies, notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ? De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », les chercheurs de The Conversation s’arrêtent deux fois par mois sur l’un de ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.


« La langue comme les mots ont une histoire. Une langue qui n’évolue plus, qui se fige, est une langue morte », disait l’écrivaine Thérèse Moreau. L’entrée du verbe « dégenrer » dans le Petit Robert en 2022 symbolise ainsi une avancée de la langue française vers une société plus inclusive puisque, selon la définition didactique, il s’agit de « supprimer toute distinction en fonction du genre pour favoriser la mixité et l’égalité ».

Pour rompre avec ce cercle vicieux, il s’agirait donc d’« ôter le genre ou toute notion de genre de quelque chose », pour tendre vers une société « dégenrée », reflet de l’époque. Cette démarche est motivée par le poids persistant des stéréotypes sexistes, qui favorise toujours des processus de construction des inégalités, alors même que nous sommes dans une société de droit.

Dans son rapport en 2014 relatif à la lutte contre les stéréotypes, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes définit les stéréotypes de genre comme étant « des représentations schématiques et globalisantes sur ce que sont et ne sont pas les filles et les garçons, les femmes et les hommes […] qui outillent les discriminations et servent à légitimer à priori les inégalités », tout en sachant qu’elles ne sont pas la source des inégalités.

Subvertir les différenciations sexuées, ce n’est pas abolir les différences anatomiques ni le corps érotique, comme l’explique la psychologue Pascale Molinier dans L’énigme de la femme active. C’est supprimer la valence différentielle des attributs féminins et masculins, et donc les libérer des obstacles sociaux qui neutralisent le pouvoir d’agir, réduisant chacun à une catégorie. Aussi parle-t-on de dégenrer les cours d’école, les jeux ou encore la mode, avec l’apparition par exemple de vêtements unisexes ou de « dress codes » éclatés.

Comment sortir des assignations du type « les hommes doivent » ou « les femmes ne peuvent pas » ? Shutterstock

Comment expliquer aux garçons comme aux filles qu’ils et elles peuvent jouer au ballon, et que peu importe qu’il soit rose ou bleu ? Comment sortir des assignations du type « les hommes doivent » ou « les femmes ne peuvent pas » ? Des actions de formation, de sensibilisation sont attendues pour renverser ce système de normes. Les enjeux d’éducation sont au cœur de cette dynamique, et les livres, les jouets, les jeux vidéo, les cours de récréation deviennent un enjeu de lutte contre les discriminations sexistes.


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« Dégenrons le monde pour plus d’égalité » nous dit Alison Allard, professeur des écoles et créatrice du podcast Maternelle dégenrée, qui veut « remettre en question les stéréotypes de genre dès l’école maternelle ». L’objectif est de questionner les pratiques, les regards sur l’égalité, de « dégenrer nos interactions en classe », en s’attardant à la manière dont on parle aux élèves, à la place qu’on donne aux filles et aux garçons dans les activités. Il s’agit aussi de « dégenrer » les cours de récréation, monopolisées par les garçons, leurs rapports virilistes et leurs jeux de ballon transformant le centre de la cour en terrain de foot, alors que les filles sont reléguées aux espaces plus périphériques, avec des jeux plus discrets.

D’envergure universelle, ce « dégenrement » a également pour but l’inclusion des nouveaux genres. « No gender », « non binaire », « gender fluid », des personnes remettent en cause la dimension fixe et binaire du genre : soit elles sont nomades dans le genre, soit elles préfèrent ne pas dire leur genre. La non-binarité se traduit au quotidien pour certains, de « ne pas faire de choix en fonction de son genre » et de changer d’apparence en fonction de ses envies : porter un jogging ; un autre jour, des talons. Faire fi du genre exige quelques innovations linguistiques, de prénoms unisexes à l’usage du pronom « iel ». Aujourd’hui, le « no gender » n’est pas une revendication, c’est l’histoire d’une génération, celle des millennials (15-25 ans), qui a grandi avec Internet et le mariage gay et pour qui le X ou le Y n’est pas un curseur, ni une problématique.

auteur

  1. Enseignante chercheure en sciences de l’éducation et de la formation – Affiliée au laboratoire de recherche LINE, Université Côte d’Azur

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