Dans le cadre d’une étude, des chercheurs ont pu restaurer l’activité électrique dans les rétines humaines, le tissu neural sensible à la lumière qui se trouve à l’arrière de nos yeux et communique avec notre cerveau, de donneurs d’organes. Décrite dans la revue Nature, cette réalisation promet une meilleure façon d’étudier les maladies oculaires. Ces travaux pourraient également jeter les bases de la relance d’autres types de tissus neuronaux et peut-être un jour de greffes de rétine.

La mort est définie comme l’arrêt irréversible de l’activité circulatoire, respiratoire ou cérébrale. Si de nombreux organes humains périphériques peuvent être transplantés en utilisant des protocoles pour optimiser la viabilité, les tissus du système nerveux central perdent quant à eux rapidement leur viabilité après l’arrêt de la circulation, ce qui entrave leur potentiel de transplantation. Jusqu’à récemment, le potentiel de réactivation restait également mal défini.

En 2019, des chercheurs de l’Université de Yale ont démontré que l’activité électrique rudimentaire pouvait être restaurée dans le cerveau des porcs après la mort. Plus récemment, le spécialiste oculaire Frans Vinberg et la chirurgienne rétinienne Anne Hanneken se sont inspirés de ces travaux pour étudier si le tissu rétinien pouvait également être restauré post-mortem.

Des rétines « réactivées » après la mort

La plupart des études sur la rétine sont en effet réalisées sur des souris. Or, les rétines de souris manquent de macula, une région clé trouvée dans les yeux humains qui sélectionne les détails fins. Ces animaux ne sont donc pas des modèles parfaits. Cependant, le tissu oculaire humain provenant d’autopsies est souvent mort avant même que les scientifiques ne puissent les étudier. La possibilité de faire « revivre » des rétines après la mort pourrait donc permettre de meilleures analyses.

Pour ces travaux, les chercheurs ont d’abord testé combien de temps les rétines de souris pouvaient envoyer des signaux électriques après le décès des animaux. D’après l’étude, ces derniers auraient pu restaurer cette activité après trois heures. Ils ont également découvert que le manque d’oxygène était le principal facteur de perte irréversible de fonction.

Ensuite, l’équipe s’est tournée vers des yeux humains obtenus grâce à des donneurs d’organes très peu de temps après la mort cérébrale ou cardiaque. Les scientifiques les ont amenés en laboratoire dans un récipient fournissant de l’oxygène et des nutriments. Ils ont ensuite exposé le tissu rétinien à une lumière tamisée et mesuré les signaux électriques générés par le tissu. D’après l’étude, l’équipe aurait pu rétablir l’activité électrique dans les cellules sensibles à la lumière (photorécepteurs), ainsi que dans les neurones auxquels ces cellules se connectent moins de vingt minutes après la mort.

« Bien sûr, les yeux ne pouvaient pas « voir », car ils n’étaient pas connectés à un cerveau« , note le Dr Hanneken. « Cependant, les résultats ont montré qu’il était possible de restaurer non seulement les cellules rétiniennes individuelles, mais aussi la communication entre elles« .

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Gros plan sur une rétine humaine. Crédits : KattanaSox/Pixabay

Des perspectives intéressantes

Ces travaux sont prometteurs à plus d’un titre. D’une part, ils pourraient ouvrir la voie à l’étude de la physiologie visuelle des rétines humaines et de son évolution dans le temps. La dégénérescence maculaire liée à l’âge a par exemple jusqu’à présent été difficile à étudier, car il était impossible d’accéder aux tissus oculaires humains vivants. Grâce à cette nouvelle technique, les chercheurs pourraient mieux appréhender le phénomène et tester de potentiels nouveaux traitements.

À terme, il pourrait également être possible de faire revivre d’autres types de tissus neuronaux. « La rétine est une fenêtre sur le cerveau, donc si vous pouvez rétablir la communication dans la rétine après la mort, cela vous oblige à faire une pause et à réfléchir au type de communication que vous pourriez être en mesure de récupérer dans le cerveau« , estime le Dr Hanneken.

Enfin, l’étude soulève la perspective de greffes de rétine, même si beaucoup de travaux sont encore nécessaires pour évaluer ce potentiel.