L’Afrique participe elle aussi au concert des nations obnubilées par la pandémie de la Covid-19 ayant justifié des mesures et des réponses isolationnistes contre le multilatéralisme qui a fondé et animé pendant plusieurs décennies la géopolitique mondiale. L’achat de masques, de médicaments, de vaccins, d’équipements et de matériels hospitaliers font l’objet d’une âpre et stratégique bataille entre les grandes puissances jusqu’à favoriser des détournements et des marchandages de toutes sortes dans les aéroports. La souveraineté médicale prend donc des formes qui alimentent la panique. L’Afrique dans ce contexte et de par son intégration au marché mondial, peut-elle continuer à dépendre du patrimoine universel pour assurer sa souveraineté scientifique ?

L’avènement du covid-19 survenu en Chine s’est étendu en Europe avant de faire des USA l’épicentre de la pandémie. La gravité de la crise sanitaire a placé plus de 4 milliards de personnes en confinement et généré un vaste chantier humanitaire : 131.837 millions de cas confirmés positifs, 75.4 millions de personnes guéries, 2.862 millions de décès enregistrés dans 223 pays et 604 032 millions de doses administrées en avril 2021(i). Dans ce panorama, l’Afrique se singularise avec une population infectée à hauteur de 3.132 millions de cas, et 113 873 décès pour une population de 1,3 milliard d’habitants (chiffres fournis par l’OMS en date du 5 avril 2021). Certes il faudrait sans doute relativiser ces chiffres concernant l’Afrique du fait de sa faible capacité de collecte et d’analyse des données, de la disponibilité des tests, des difficultés d’accès aux services de santé et de la faiblesse des plateaux techniques, mais il serait plus crédible et pertinent de développer au niveau de l’Union africaine des stratégies de renforcement des capacités dans la collecte des données y compris sanitaires. Les prévisions des grandes organisations internationales (CEA, UN…) avaient prédit une catastrophe humanitaire avec environ 300 000 morts en Afrique (i). Cependant, l’évolution actuelle démontre que l’Afrique qui a enregistré son premier cas en Égypte le 14 février 2020 a pu résister dans une certaine mesure du fait de la jeunesse de sa population et d’un environnement climatique favorable.

L’Afrique a toujours été un théâtre de prédilection pour toutes les crises sanitaires dans l’histoire humaine mondiale et aujourd’hui s’avère pourtant le continent le moins impacté par la pandémie (54 pays touchés représentant une population de 1,3 milliard d’habitants soit 15% de la population mondiale). Le continent a enregistré 4% des infectés de la pandémie et 2,6% de taux de létalité, supérieurs au taux mondial qui est de 2%. Réduire le nombre de décès liés au Covid, c’est le seul défi qui doit être relevé en Afrique et avec un plan continental de préparation aux urgences sanitaires, humanitaires et climatiques en s’appuyant sur une démarche géostratégique et géopolitique.

Diplomatie de la pandémie

A la différence des précédentes pandémies, nous avons assisté à un repli nationaliste de tous les pays avec la fermeture des aéroports, l’embargo des médicaments, des équipements et matériels hospitaliers, le recours au confinement et à l’état d’urgence avec couvre-feu, fracturant la solidarité internationale au profit d’une autarcie salvatrice.

Des l’apparition de la pandémie de la Covid-19 en Chine, s’est imposée une surchauffe diplomatique entre ce pays et l’administration Trump qui accusait l’empire céleste d’être responsable de l’origine et de la propagation du virus dans le monde et suspectait gravement l’OMS d’être complice de la situation pour avoir couvert par complaisance voire intérêt cette puissance. Cette (sur)tension diplomatique donnait la mesure des enjeux socio-économiques et géostratégiques qui s’affrontent désormais du fait d’une mondialisation quasi irréversible. Jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons connu une compétition aussi féroce et effrénée pour trouver le vaccin contre la Covid-19 et gagner en efficacité.

La course aux vaccins fait rage et les experts les plus dévoués ont déployé des moyens colossaux pour faire face à la pandémie. Les États- Unis consacrent un budget de 7000 milliards de dollars au centre de gestion des maladies. Les défis du Covid-19 pour réussir la reprise économique mondiale sont tels que la découverte du vaccin contre le Covid-19 s’est faite en un temps record comparé à tous les vaccins que le monde a pu initier et développer.

En début mars 2021, 413 millions de doses de vaccins ont été produites dans le monde : la Chine occupe la première place avec une production de 142 millions de doses (34%), les USA avec plus de 100 millions (25%) suivie de l’Europe (Belgique et Pays-Bas) pour 81 millions (20%) et de l’Inde pour 42 millions (i).

L’administration Trump a fait de la course au vaccin un enjeu politique majeur dans une période électorale exacerbée avec des données épidémiologiques affolantes par rapport au reste du monde. La Chine découvre son vaccin Sinopharm, les Russes Spoutnik V, Les Anglais et les Suédois (Oxford Uni) AstraZeneca, les États-Unis Moderna, Novavax, Janssen le Johnson & Johnson, les États-Unis et l’Allemagne Pfizer –BioNTech et la Corée du Sud Bharat. Tandis que se met en place COVAX à l’initiative de l’OMS pour une distribution internationale équitable de vaccins envers notamment les pays les plus démunis. La plupart des laboratoires occidentaux se sont appuyés sur des prestataires indiens, chinois ou russes pour leur approvisionnement. C’est en quelque sorte le sauve-qui-peut général vaccinal au détriment du multilatéralisme.

Les États-Unis avec la nouvelle administration Biden battent les records dans la vaccination contre la Covid-19 en ayant déjà administré plus de 100 millions de doses. Il faut relever dans ce formidable repli sur soi et l’égoïsme ambiant que la plupart des pays développés ont imposé des mesures d’interdiction temporaire d’exporter des médicaments (certains contenant de l’hydroxychloroquine et des spécialités d’anesthésie-réanimation) et les masques faciaux par l’Union européenne en vigueur depuis le 23 mars 2020.

L’Afrique a besoin de 1,3 milliard de doses de vaccins ! À ce jour seuls 38 pays ont reçu 25 millions de doses et seulement 30 pays ont commencé à vacciner selon l’OMS au 18 mars 2021. L’Union africaine a développé un plan d’intervention Covid-19 de l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD) avec un impact limité. Cette situation avec les connexions intercommunautaires expose davantage les populations africaines à d’autres vagues « contaminantes » sans directives claires de l’Union africaine.

Relance de la guerre économique

La situation économique mondiale est caractérisée par un chômage élevé avec 16 millions d’Américains vivant grâce aux allocations chômage en décembre 2020, une chute de la production automobile mondiale de 16% et de 70 % de la vente des voitures dans le monde à fin 2020 (- 43% en Chine ; – 23% en Europe), une baisse de 13,5% de la production industrielle en Chine, de 17,3% dans l’Union européenne ([i]). L’Afrique a subi une baisse des recettes d’exportation de 100 milliards de dollars en 2020 selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, de 79 milliards de dollars de production agricole et une chute de 23% des transferts d’argent vers l’Afrique selon une note de la Banque Mondiale sur les migrations et le développement.

La géopolitique mondiale connaît des tensions sans précédent autour des G8, G20 et le Forum de Davos qui régentent la mondialisation et la globalisation sauvage, et organisent d’une certaine façon des guerres économiques sous une autre forme que celles que nous avions connues avec la guerre froide. La mondialisation avec les grandes firmes multinationales Google Amazon, Facebook, Ali Baba, Microsoft (GAFAM) et des grands laboratoires pharmaceutiques s’est manifestée avec une politique de délocalisation des grandes industries en Chine et en Inde.

Dès l’annonce de la pandémie, certains chefs d’État africains ont lancé un appel pour l’annulation de la dette avec l’appui de la société civile du fait de l’impact négatif du Covid-19 sur les économies déjà fragiles. Le G20 propose une suspension des services de la dette de juin à décembre 2020 et non son annulation. Seuls 23 pays ont accepté (13 pays ont refusé dont le Nigeria) la suspension évaluée à 12.1 milliards de dollars.

L’Afrique est en train de payer le prix de la remise en cause des systèmes de protection sociale universelle, de la gouvernance, de la déréglementation du marché du travail, de la délocalisation des industries, de la privatisation des services publics, d’une libéralisation des politiques publiques et de l’impact des transactions financières sur les politiques économiques.

Et l’Afrique ?

Cependant, jamais dans l’histoire de l’humanité les pendules n’ont été autant dans une phase de remise à l’heure pour entamer la gestion de la pandémie et le post Covid-19 comme à la fois une menace et une opportunité pour l’Afrique, opportunité géopolitique, opportunité économique, opportunité sociale et opportunité culturelle. Menaces sur la cohésion sociale, menace sur le puissant secteur, menace sur la fragilité des institutions étatiques.

L’Afrique ayant jusqu’ici résisté au choc du Covid-19 mieux que les autres continents affectés par une perte des repères à tous les niveaux y compris de civilisation, ceci constitue pour elle un enjeu important pour la relance de l’économie mondiale sur de nouvelles bases avec l’Afrique comme épicentre d’un nouveau monde. Aujourd’hui, le continent se doit de réfléchir sur les leçons apprises de la gestion de la Covid-19 à travers l’Union africaine et les Commissions économiques régionales pour mieux préparer les prochaines crises sanitaires et environnementales et mieux se positionner sur le plan géopolitique et géostratégique notamment en remettant en cause certains des accords de Breton Woods. La jeunesse de la population en Afrique, le changement de l’environnement digital des informations, la société civile, la dévalorisation du discours politique, le puissant secteur économique informel et l’irruption de nouveaux acteurs virtuels de la transformation sociopolitique et économique sont autant de leviers qui comptent dans cette mondialisation asymétrique post covid-19 en marche.

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