Parler d’une mode africaine en fait sourire plus d’un. Et pourtant, depuis plusieurs années, elle est là, présente. Non seulement elle s’organise dans de nombreuses ‘fashion weeks’ sur le continent africain, mais de grands couturiers occidentaux lui font les yeux doux et l’intègre dans leurs collections.

Les tissus africains sont à l’honneur. Dans les cinq dernières années, des références à l’Afrique sont apparues dans des collections haute-couture sur les po-diums les plus prestigieux d’Europe et d’Amérique du Nord.
Malgré tout, cette notion est soumise à contestation. « Pourquoi utiliser le terme de ‘mode africaine’ alors qu’on ne parle jamais de ‘mode européenne’ » demande la grande styliste Tina Lobondi.

Depuis quand parle-t-on de la mode africaine ?

Dès 1950, certains créateurs font référence à l’Afrique et utilisent le pagne. Mais il faut attendre 1990 pour que des journalistes s’ouvrent à la créativité noire. En 1998, dans le désert de Tiguidit au Niger, a lieu le premier Festival International de la Mode Africaine (FIMA). Il est l’œuvre du créateur de mode nigérien Alphadi. Le festival se veut une manifestation culturelle et économique d’envergure internationale axée sur la mode africaine en lien avec la mode occidentale. Yves Saint-Laurent, Kenzo ou Jean-Paul Gautier, par leur présence, ont montré l’importance de cette célébration mondiale de la mode.
Malgré tout, la mode africaine reste encore souvent méconnue. Les Africains eux-mêmes n’achè-tent pas les produits africains. Ceux de la diaspora refusent de porter les œuvres de créateurs qu’ils disent inconnus.

Comment la définir ?

Peut-on parler d’une mode noire ou le pluriel est-il de mise ? La mode est plurielle car elle est le fruit de plusieurs créateurs, même si l’instauration de tendances permet d’orienter leur créativité. L’Afrique n’est pas un seul pays. La mode éthiopienne n’est pas la même que la mode nigériane, somalienne ou ghanéenne. Cela dit, il y a des dénominateurs communs qui doivent être utilisés. « Les habits africains sont très colorés. Même peut-être encore plus maintenant. Les Africains portent beaucoup de couleurs ; et les créateurs mélangent toutes ces couleurs ».

Alphadi fait d’ailleurs cette re-marque : « Beaucoup jugent les couleurs africaines trop criardes. Mais il faut dire que les couleurs de nos pagnes actuels ont été imposées par les colons européens, ce ne sont pas les couleurs de l’Afrique… L’Afrique, c’est le bogolan avec deux couleurs maximum, parmi l’ocre, l’indigo, le noir ou le blanc par exemple. »
Ce qui est essentiel dans la création africaine, c’est sa diversité. Il s’agit de montrer que l’on peut être Africain et moderne, que la mode de l’Afrique ne se limite pas au pagne et au boubou. Par ailleurs, la majorité des designers africains ont fait leurs classes en Europe, leur regard sur la mode ne se limite pas aux racines africaines, au traditionnel. On essaie d’éduquer le regard que les gens portent sur ce continent : on est en phase avec cette époque.

Une mode qui change

De plus en plus présente sur la scène internationale, la mode africaine évolue suivant des influences venues d’Europe. Aban-donnant les traditionnelles étoffes colorées, elle épouse d’autres matériaux et adopte des coupes plus classiques.
Le créateur sud-africain David Tlale le dit : « Nous ne pouvons pas rester coincés dans le passé… Le monde a évolué, les tendances ont évolué ! » Sa collection de prêt-à-porter propose des coupes simples, de la minijupe à la robe très longue, sans motifs tradition-nels. Il s’agit d’avoir des coupes résolument modernes pour répondre aux besoins de la clientèle de base : les femmes qui travaillent. Les cultures urbaines dans lesquelles se reconnaissent de nombreux jeunes sont largement influencées par ce que l’on pourrait nommer une « black attitude ».

Aujourd’hui, les collections de la nouvelle génération de créateurs africains sont partout : dans la rue, dans les magasins, dans des défilés de mode, sur le continent et dans le reste du monde. Mais si elle veut conquérir la planète, la mode africaine doit encore opérer une autre mutation. Qui dit mode africaine, dit mode d’été, parce qu’elle se calque sur le climat d’Afrique. Elle doit encore tenir compte des saisons du Nord pour trouver de nouveaux acheteurs.

Un marché difficile

Quelques créateurs africains ont ouvert des enseignes à Paris, mais entre méventes et charges fiscales, ils se sont retrouvés incapables d’honorer leurs créances. Leurs moyens de production sont limités, et rares sont ceux qui sont prêts à les soutenir. Aussi beaucoup de créateurs concentrent leurs efforts sur le continent. « Le vrai défi, aujourd’hui, c’est de s’imposer sur nos marchés. Nous devons montrer aux Africains ce dont nous sommes capables et les amener à consommer local. » (Collé Sow Ardo, sénégalaise)

Mais c‘est loin d’être gagné. Il y a le ‘made in China’ qui s’étale sur des kilomètres dans les marchés subsahariens, et il est difficile de débourser au moins 35 000 F CFA (53 euros) pour une chemise d’un grand créateur africain quand 1 000 F CFA suffisent pour acheter une chemise chinoise. Il ne faut pas non plus oublier les petits tailleurs de quartier qui reproduisent, avec un talent parfois discutable, les modèles qu’ils voient dans les grands magazines ou lors des défilés des créateurs. « Rien qu’en Côte d’Ivoire, dans les années 2006-2007, ils étaient 50 000 ».
Les faibles revenus des populations et la profusion d’étoffes sur les marchés contribuent au succès de ces tailleurs. « Au début des années 2000, rien qu’en Afrique de l’Ouest, on estimait que, chaque année, 1,5 million de mètres de pagnes wax étaient disponibles sur les marchés. Aujourd’hui, chaque année, 1,5 milliard de mètres de pagnes en provenance d’Asie sont distribués sur les marchés ». Quant à la clientèle aisée, elle est souvent difficile à convaincre. Les Africains sont encore persuadés que la qualité vient toujours de l’étranger »

Les tissus

Le Mali, le Burkina Faso, le Togo et le Sénégal produisent une partie importante du coton mondial, pourtant les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest sont parmi les plus pauvres du monde. Cela vient de la chute des prix depuis la libéralisation du coton sur le marché mondial. Cependant, beaucoup de tissus ont acquis une renommée mondiale : Le basin : tissu damassé aux motifs multicolores, teinté à la main, et utilisé pour confectionner vêtements et linge de maison ; le bogolan, le plus connu des tissus africains traditionnels tissés en bandelettes, utilisé par les communautés d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina-faso…) ; les batiks aux couleurs chaleureuses sont teintés au Togo ; le kenté ashanti du Ghana, le plus royal des tissus africains.

Perspectives pour demain

On les connaît, mais on ne les achète pas – ou pas assez. Les stylistes africains voudraient bien convaincre la clientèle locale. Et prouver qu’en Afrique aussi la création peut être rentable.
La mode peut devenir un acteur essentiel de développement durable, créatrice d’emplois dans le textile, la confection, la bijouterie et la maroquinerie. Pour changer les mentalités, les créateurs ont fait des efforts sur la qualité, finitions plus soignées et coupes qui s’adaptent aux besoins de la vie urbaine. Tous pourtant sont confrontés à un problème de taille : le manque de financements. « Pour les banques, la mode n’est toujours pas un investissement sûr », explique Khady Diallo.
Aujourd’hui, l’Afrique devient à la mode. Mais il ne suffit pas de rajouter quelques broderies sur un vêtement et dire que c’est l’Afrique. Ce n’est pas honorable pour les Africains. L’Afrique n’est pas une mode, c’est une réalité de tous les jours.

Source : D’après des sources diverses
Voix d’Afrique Voix d’Afrique N°100
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