Treize ans après la tenue des dernières élections municipales en Guinée, l’histoire se répète…inexorablement. Les élections communales du 4 février 2018, aux yeux de bon nombre d’observateurs, représentaient un tournant majeur dans l’histoire de notre jeune démocratie, car l’enjeu en matière développement local est d’une importance capitale.
Malheureusement, la Guinée habituée des rendez-vous manqué avec l’histoire de la démocratie moderne, ne va pas tarder à renouer avec ses vieux démons, qui consistent pour certains Guinéens à usurper la voix des citoyens, exprimées à travers les urnes, et à instaurer un climat de peur, à travers les violences physiques et verbales.
Campagne électorale sans projet
Malgré leur ouverture au monde à travers les nouvelles technologies de de l’information et de la communication, les Guinéens dans leurs écrasantes majorités, de façon consciente ou inconsciente, ont une vision étriquée d’une campagne électorale. En Guinée, elle se résume à la fête qui consiste à jouer de la musique dans les rues, à chanter les louanges des leaders dans les permanences et autres espaces de rencontre, et danser, si les protagonistes ne sont pas dans l’invective ou en train de s’attaquer physiquement! Au finish, aucune idée, aucun projet de société n’est défendu, et des violences pré et post électorales sont enregistrées avec leurs lots de blessés, de dégâts matériels inestimables et…malheureusement, des morts…
Au lieu que chaque candidat déroule son plan d’action de développement pour les municipalités, la campagne des élections locales du 4 février 2018, comme celles antérieures, à consister pour les candidats et les journalistes, à s’attarder sur des détails inopportuns. Résultat: le taux d’analphabétisme aidant, la plupart des Guinéens sont allés aux urnes sans comprendre les véritables enjeux du scrutin.
Des élections dévoyées
Ces élections locales qui auraient dû être celles, par lesquelles les citoyens à la base expriment leurs besoins et exigences en matière de développement local, ont été détournées de leur but, par l’instrumentalisation à base communautaire des partis politiques de la mouvance comme de l’opposition. Dénaturant le sens même des élections, en se lançant dans une campagne aux allures d’une présidentielle qui ne dit pas son nom, parfois avec l’implication de l’administration publique; cela a contribué à fausser l’enjeu et à ramener le débat à des questions de personnes, en lieu et place des projets de développement local.
La CENI, pas à la hauteur de l’enjeu
Cela faisait plus d’une décennie que ces élections étaient attendues, la CENI guinéenne avait une occasion de se racheter de ses nombreux manquements du passé, et de tourner la page de sa mauvaise réputation. Hélas, ce qui avait plutôt bien démarré, s’est au fil des heures et des jours, transformé en un cinéma au scénario improbable.
Incapable de faire preuve de fermeté ou volonté délibérée de fausser le jeu ? La CENI, à travers ses démembrements (CECI et CESPI) s’est montrée complaisante face à l’implication et à l’ingérence d’individus tiers, qui n’ont du reste rien à voir avec le processus, et dont l’objectif non avoué semblait être de tricher pour favoriser le candidat de leur choix.
Pendant le scrutin des anomalies majeures ont été relevées, notamment l’intervertissement de la destination des bulletins de vote, la circulation de listes d’émargement parallèles, la violation du matériel électorale, des bourrages d’urnes ont été relevés et rapportés par des observateurs neutres sur le terrain ainsi que plusieurs tentatives de substitutions des procès-verbaux pour ne citer que celles-là.
La force de sécurisation du processus électoral dénommée USSEL a été l’un des plus gros gâchis du processus, incapable de sécuriser le vote, donc de jouer pleinement la mission pour laquelle elle a été mise en place. Conséquence plusieurs urnes ont été vandalisées et des procès-verbaux subtilisés par des groupes de militants.
Quant au processus de centralisation, la lenteur avec laquelle il a été effectué, a été l’élément le plus discréditant pour la CENI, puisqu’en principe ces élections sont des élections dont l’organisation a été décentralisée et confiée aux CECI et CESPI et qui normalement sont plus proches des localités du vote, donc capables de fournir les résultats dans les 24 ou 48 heures. Il aura fallu près d’une semaine pour que la CENI centrale commence à communiquer les premiers résultats officiels et définitifs, et exactement 21 jours après, pour disposer de l’ensemble des résultats de toutes les circonscriptions électorales du pays. Ce qui représente une autre anomalie majeure qui a pu entraver la sincérité du processus.
Une avancée tout de même… Les candidatures indépendantes
Pour la seconde fois de l’histoire des consultations électorales en république de Guinée, la possibilité a été offerte aux citoyens lambda, à travers les candidatures indépendantes, de participer aux élections pour élire les élus locaux. C’est une avancée significative de retour qui mérite d’être saluée, ainsi que tous ceux qui ont contribué à ce que cela soit. Les activistes de la société civile se doivent désormais lutter pour pérenniser cette avancée et continuer à se battre pour que les candidatures indépendantes soient admises pour les autres consultations électorales; en l’occurrence les élections législatives et les élections présidentielles !
Le taux de participation
Si celui fourni par la CENI est de 53,72%, ce chiffre quoique relativement au dessus de la moyenne, ne parait pas traduire en réalité l’engouement autour des élections communales marquées par un désintérêt total des Guinéens. Des témoignages recueillis auprès de nombreux concitoyens et des membres de bureaux de vote, laissaient entrevoir une certaine lassitude face aux atermoiements d’une classe politique en manque d’inspiration, de repères, de patriotisme, de constance et de crédibilité, guidés pour la plupart par la défense plutôt d’une position que d’une vision. Les Guinéens ont rechigné à aller aux urnes et cela est un message clair envoyé à la classe politique actuelle qui s’arc-boute depuis toujours dans les mêmes postures.
La plupart des observateurs s’accordent à dire que le microcosme politique est en début de recomposition, où nous assistons à la naissance d’un nouvel électorat citoyen, porté par une nouvelle génération de jeunes conscients que l’exclusion et les clivages d’ordre ethnique et régionaliste ne mèneront ce pays qu’à l’abîme
Les indépendants, les mouvements citoyens et les partis progressistes qui sont entrain de prospérer en Guinée, et qui contrôlent à l’issue de ces communales, des bastions jusque-là « imprenables » des partis traditionnels (Suiguiri, Kaloum, Boffa, Coyah,etc…) seront indéniablement des acteurs majeurs de la recomposition de l’échiquier politique fortement bipolarisé par les deux plus grandes formations politiques du pays, le RPG et l’UFDG.
Quoique le vote ethnique demeure encré dans les habitudes, certains estiment tout de même qu’ils joueront une part prépondérante dans la résolution bénéfique de l’équation à plusieurs inconnues, lors de la présidentielle de 2020.
Mamadou Aliou DIALLO pour GCO
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