Pour comprendre les phénomènes d’un monde en mouvement, les chercheurs ont de tout temps été à l’avant-garde de l’interprétation desdites manifestations. Ces phénomènes souvent atypiques, une fois dépouillés du mystère qui les entoure, révèlent en de nombreux cas, l’interaction de l’homme à la base de leur apparition. De quoi déduire qu’une interaction dysharmonique entre l’homme et la nature est susceptible de créer des mutations conduisant à des phénomènes tant incontrôlés, que lourds de conséquences. Le chercheur Congolais, le docteur Michel Innocent Peya conduit une réflexion qui responsabilise l’humain dans sa relation avec la nature. Voici l’intégralité de son texte.

 »Depuis de nombreuses années, les scientifiques, les chercheurs, les ONG et les politiques alertent sur l’apparition de nouvelles maladies liées à la déforestation et à l’industrialisation sauvage : Paludisme, Ebola, SRAS, grippe aviaire, ZIKA, Covid-19…. l’agression humaine sur la biodiversité finirait par mettre en péril des vies humaines.

L’apparition d’étonnants agents pathogènes nouveaux, comme le coronavirus responsable du Covid-19, n’est à n’en point douter, rien d’autre que le résultat de l’anéantissement des écosystèmes, dont souffrent en particulier les zones tropicales, où ils sont détruits pour faire place à des cultures intensives industrielles. Le développement de ces maladies découle aussi de la manipulation et du trafic de la faune et de la flore, souvent menacées d’extinction.

La disparition de la biodiversité menace l’humanité

Depuis une dizaine d’années, les scientifiques étudient les liens entre l’explosion des maladies virales et la déforestation. Ce n’est pas quand une machine écrase tout sur son passage sur une montagne grouillante de vie que le phénomène est visible : c’est quand apparaissent chez les individus des symptômes étranges et des maux jusque-là inconnus.

De nouveaux foyers d’épidémies dus à la disparition et la destruction des forêts tropicales

Le constat est établi dans de nombreux pays, de l’Asie en passant par l’Afrique subsaharienne jusqu’à l’Amérique latine, avec des spécificités, des difficultés et des dynamiques propres à chacun. Cependant, il s’agit au fond partout de la même chose : d’une conception ‘’extractiviste’’ du monde vivant, qui conduit l’humanité à mettre en péril sa propre existence. Et contre cela, aucune solution même hydro alcoolique et de lavage des mains ne peut rien.

Les maladies transmissibles de l’animal à l’homme appelées scientifiquement zoonoses, ont toujours existé dans le monde, sans toutefois prendre une ampleur pandémique. Elles sont généralement contenues, ou ne trouvent pas les conditions nécessaires pour se propager.

Ainsi en juin de l’année 1999, un foyer épidémique avait été identifié en Bolivie, causé par le virus Chapare, du nom d’une province de la région de Cochabamba, au cœur du pays. Ce dernier avait été identifié pour la première fois en 2003 dans la région de Cochabamba, une zone déboisée au profit de rizières où la récolte se fait, en règle générale, manuellement – les paysans qui en vivent habitent donc à proximité des plantations. Or voilà que, quelques années plus tard, est arrivé dans des services d’urgence de la région de La Paz, un homme présentant des symptômes que les médecins n’ont pas identifiés immédiatement. Nul ne savait comment le virus qu’il avait contracté a voyagé depuis les rizières tropicales jusqu’aux altitudes andines.Miniature de pièce jointe

En Afrique, en particulier au Liberia, en RDC et en Sierra Leone, la virulence de l’épidémie d’Ebola a surpris tout le monde. Dans ces pays aussi, c’est la déforestation massive de la forêt tropicale qui fut la première cause de la maladie : le déboisement sauvage a en effet poussé plusieurs espèces de chauves-souris à se rassembler, en groupes serrés, sur les rares arbres encore sur pied. Ce rassemblement d’espèces différentes, qui dans l’environnement habituel n’interagissent pas, a fait office de mélange de culture. Ces chauves-souris sont soupçonnées d’être l’un des réservoirs du virus Ebola.

Le Chercheur Carlos Zambrana-Torrelio explique que « Tout commence par la déforestation. La fragmentation du couvert forestier est en train de provoquer une recrudescence du paludisme. L’explication ? Dans des espaces ouverts, il y a de plus grands trous dans lesquels saccumule leau où se reproduisent les moustiques. Ceux-ci vont transmettre le parasite, donnant la malaria aux hommes qui, à proximité, exploitent les palmiers à huile ».

Si les maladies transmissibles de l’animal à l’homme ne sont donc pas nouvelles, elles sont cependant en augmentation. David Quammen en étudie les raisons dans son ouvrage Spillover : Animal Infections and the NextHumanPandemic “Tache d’huile : les infections chez l’animal et la pandémie humaine à venir”.

Le scénario de la vengeance

Une humanité surpeuplée, cohabitant avec une kyrielle d’espèces animales parfois en voie d’extinction, ajoutée à la destruction des habitats naturels et à une biodiversité en déliquescence : selon lui, tous les ingrédients sont réunis pour un scénario façon vengeance de dame Nature. Dans un reportage de la National Public Radio, aux États-Unis, Quammen précise que nous, les êtres humains, sommes le point commun à toutes les épidémies : « Nous avons tellement proliféré et nous perturbons tant la planète… Nous rasons les forêts tropicales. Nous dévorons la vie forestière. Quand on entre dans une forêt, il suffit de secouer un arbre pour que tombent les virus – au sens propre comme au sens figuré ».

La nature écologique est une cohabitation, dont nous comprenons partiellement les relations évolutives grâce à de patientes observations scientifiques. Leur destruction au nom du progrès ou simplement de l’ignorance a des côtés obscurs que nous finissons par subir de plein fouet.

Des virus en évolution

Quand, par exemple, Jair Bolsonaro (Président du Brésil) se vante de la souveraineté brésilienne sur les incendies en Amazonie, il n’y a plus qu’à attendre que la maladie s’abatte sur cette forêt transformée en zone d’agriculture et d’élevage, en témoigne une étude publiée en 2010 dans la revue scientifique Emerging Infectious Diseases : la destruction de 4 % de la forêt a entraîné une hausse de 50 % des cas de paludisme.

Les espèces sauvages ne sont pas malades des virus dont elles sont porteuses, car elles ont évolué avec eux pendant des milliers d’années. Tout animal peut être porteur d’une cinquantaine de virus différents. Ça fait partie de la dynamique du système. S’il n’y avait pas d’êtres humains, il n’y aurait pas de transmission. Fidel Baschetto, vétérinaire et professeur en Argentine, ajoute : « Les virus qui sont nouveaux pour nous ne le sont pas pour la nature. Il s’agit donc de déterminer si on parle d’une maladie émergente, ou d’une maladie émergente pour l’homme. De nombreux virus ont co-évolué avec certaines espèces et ces dernières ne souffrent pas de la maladie. L’agent pathogène sait que quand il pénètre dans un nouvel organisme, il ne doit pas le rendre malade ou du moins il ne doit pas le faire succomber. Car la mort de l’hôte – celui que nous appelons patient – entraîne aussi la mort de l’agent pathogène. Aucun micro-organisme n’a pour objectif la mort de son hôte. Mais avant que ce micro-organisme n’évolue, ce qui peut prendre des milliers d’années, la cohabitation produit la maladie », ajoute le scientifique argentin.

La destruction de la nature par l’homme

Il ne faut pas en vouloir aux chauves-souris, moustiques, souris ou pangolins. Non, ces animaux n’y sont pour rien. Le problème vient du préjudice que l’homme cause à leur environnement, il est lié au fait que nous les regroupons et les manipulons dans des milieux artificiels. Telle est la véritable recette du coronavirus, qui sera probablement à l’origine d’une crise multidimensionnelle, une récession mondiale. Autrement dit, détruire les écosystèmes a un prix malheureusement.

La transmission à l’humain du coronavirus s’est produite à Wuhan au centre de la Chine sur un marché public, où sont vendues des espèces sauvages braconnées. Le commerce illégal de ces animaux emprunte les mêmes routes que le trafic de drogues et des armes, il est très rentable puis qu’il pèse des milliards d’euros. Les consommateurs de cette viande vivaient autrefois dans les campagnes et ont migré en ville : aujourd’hui, au lieu de chasser, ils se fournissent sur les marchés pour tenter de retrouver le goût de leur enfance.

Protégeons l’environnement, il y va de notre existence sur terre

Dans le cas du Sras (syndrome respiratoire aigu sévère), qui a aussi franchi la barrière des espèces dans l’un de ces marchés de produits frais, les excréments des chauves-souris ont notamment permis au virus de faire son chemin au point de devenir une épidémie, qui a touché 8 000 personnes en 2003 (Chiffre avancé par l’OMS). Ne pensons pas que ce type de phénomène n’a lieu qu’en Chine ou ailleurs, où les autorités ont interdit le commerce de ces produits, déplaçant probablement leur vente vers le marché noir.

En Afrique centrale par exemple, nombreux sont ceux qui consomment des espèces sauvages (poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères) sans savoir si cette habitude risque d’entraîner la transmission de parasites ou d’autres maladies, (aléatoires, des foyers d’infection peuvent donc aussi apparaître de cette façon.

La protection de la biodiversité ne relève pas seulement d’une intention écologique, elle concerne notre survie. Si la Terre est malade, alors nous le sommes aussi. « Nous devons arrêter de penser que nous, les êtres humains, sommes un élément indépendant du système, résume Carlos Zambrana-Torrelio. Car nous en déduisons, à tort, que nous pouvons transformer, détruire et modifier l’environnement à notre convenance. Tout changement que nous imposons à la planète aura une répercussion sur notre santé ».

« Nous sommes tous dans le même bateau. Notre destinée est commune, il est capital de préserver notre écosystème » prédisait à juste titre, le Président de la République du Congo, Monsieur Denis Sassou-N’Guesso dans un de ses différents messages sur la préservation du bassin du Congo.

« Notre maison brûle et nous faisons semblant de regarder ailleurs », rappelait en son temps, le président Jacques Chirac.

Paris, le 29 mars 2020

Michel Innocent PEYA

( Chercheur Congolais)

Miniature de pièce jointe

MIATOLOKA Boryce Agapyth pour GCO

Correspondant particulier de GCO pour le Congo

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